Métaphore de accompagnement

Hypnose et Cancer: Regards croisés (1/3) 1


Cet article est la partie 1 de 3 dans la série Série Cancer et Hypnose : regards croisés

Article de Claude Thomas et Pierre Le Belleguic relatant l’accompagnement en Hypnose de Claude par Pierre pour un cancer

Pierre:

Tout au long de ma carrière, j’ai eu l’occasion de me rendre compte que les outils utilisés par l’infirmier pour l’accompagnement des patients en psychiatrie lui permettent de réguler la vie en collectivité des patients dans les services, de vivre ensemble, de désamorcer les comportements inadaptés, de renforcer ceux qui sont utiles, et que ces outils que l’infirmier est amené à développer et mettre en place, sont souvent d’origine intuitive, puis formalisés et théorisés en formation.
Lors de mon exercice professionnel en service d’entrée à l’Unité Intersectorielle d’Accueil (qui assurait les admissions de tout le département, détenus compris), j’ai fini par développer une forme de prise en soin des patients en chambre d’isolement, un ensemble de techniques de communication qui me permet de rapidement les apaiser, d’instaurer la communication et de préparer la suite de leur séjour de manière à ce que celui-ci puisse se dérouler le mieux possible.

En changeant de service et en me rendant sur l’extra-hospitalier en CMP, j’ai pu me rendre compte que la prise en charge sur l’extérieur de nos patients est souvent d’ordre évaluative, pratique, de soutien, d’accompagnement ou d’intendance : l’équipe se rend chez le patient pour évaluer son état, et l’oriente ensuite vers le médecin ou le psychologue pour une prise en soin en cas de décompensation. Je peux délivrer des conseils sur la gestion de l’angoisse au patient, mais je ne suis pas formé pour lui apprendre à l’apprivoiser ou la contrôler. (Ce qui pourrait dans certains cas éviter une ré-hospitalisation)

Suite à une formation à la relaxation pendant laquelle j’ai bénéficié d’une introduction à l’hypnose Ericksonienne, puis à mes recherches personnelles, je me suis rendu compte que les techniques que j’utilise intuitivement sont dérivées de techniques d’hypnose et de relation: le positionnement dans l’espace et la gestuelle, l’utilisation d’un ton de voix grave, posée, le détachement des mots en en soulignant certains par une intention particulière (technique du saupoudrage), l’utilisation de métaphores, la synchronisation, la position basse, voire une forme d’hypnose conversationnelle.

L’utilisation de ces techniques, leur formalisation avec un apport de connaissance adaptée, me dote d’outils orientés solutions qui complètent ma palette pour la prise en soin de patients en psychiatrie, intra ou extra-muros et ainsi améliorer la qualité des soins prodigués, et concourir à l’autonomisation du patient dans la gestion de sa maladie, permettant dans certains cas de diminuer les ré-hospitalisations.

Je commence donc ma formation de trois modules en hypnose thérapeutique ericksonienne en mai 2015, à l’institut Milton Erickson du nord de la France. Mon employeur me finance un module par an, les formateurs me conseillent de m’exercer entre les sessions sur des « personnes saines volontaires ».

Un des plus grand piège de ce type de formation est d’en revenir sans jamais s’y mettre, et plus on repousse le moment où l’on doit se lancer, plus c’est difficile de « sauter le pas », le mental créant sans cesse de nouvelles excuses ou de nouvelles échéances pour différer le passage à l’acte..

J’informe donc quelques personnes de mon entourage professionnel que je cherche des volontaires, de préférence avec des problématiques simples pour les accompagner en hypnose. (A cette époque je pense encore que certaines problématiques peuvent être simples..) Selon le principe du « gagnant/gagnant », j’effectue un accompagnement gratuit en hypnose et en échange je capitalise de l’expérience. Perte de poids, arrêt du tabac, préparation aux examens, confiance en soi.. Et tout le panel validé et reconnu accessible à ces techniques relationnelles.

Je n’ai jamais manqué de volontaires, et si au début je m’exerce à mon domicile le weekend en demandant à mon compagnon particulièrement compréhensif d’aller faire un tour pour deux heures, je me heurte rapidement à la difficulté que cela représente. C’est pour cette raison que je fais à mon employeur la demande d’un lieu pour m’entraîner, que j’obtiens en février 2016. Pour me superviser dans mon travail et mon apprentissage je sollicite une collègue et amie psychologue, qui a l’expérience de techniques similaires, et dont l’expérience et le savoir faire vont pouvoir me soutenir et m’accompagner.

C’est à cette époque qu’une collègue me contacte pour me parler d’une de ses amies, Claude Thomas. Elle me dit que cette amie a un cancer, qu’elle a beaucoup pratiqué la sophrologie, mais qu’elle souhaiterait expérimenter l’hypnose dans l’accompagnement des épreuves qu’elle ne manquerait pas de devoir traverser.

Etant un professionnel du soin confirmé depuis maintenant 18 ans, j’acquiesce sans l’ombre d’une hésitation, aguerri que je suis à accompagner de façon plus ou moins proche des personnes en souffrance.. Eh oui! La distance relationnelle est mon amie! J’indique donc à cette collègue que sans aucun problème, je peux accompagner cette dame. Elle me donne son numéro et je la contacte.

C’est d’une voix très douce et posée qu’elle me répond, et nous convenons de nous rencontrer à son domicile. Je lui indique qu’il lui faudrait être seule, à quoi elle me répond qu’elle va s’organiser pour l’être. Rendez-vous est pris pour le 5 septembre 2015. Elle m’explique en quelques mots de quoi elle souffre, j’entends les mots « lymphome hodgkinien » et « lymphome non hodgkinien ». C’est une tumeur au-dessus du diaphragme, très agressive, mais découverte à un stade précoce. « La vache.. Deux pour le prix d’un.. Elle ne fait pas dans la dentelle la petite dame.. » me dis-je. On lui a posé une chambre implantable, et elle a fait sa première chimiothérapie. Elle me dit qu’elle est inquiète de la suite, et des soins à venir.

Je raccroche et j’essaie de me remémorer mes cours d’hématologie. Google est mon ami, je glane quelques infos sur sa pathologie. Après quelques heures de recherches, je prévois de construire ma séance autour de l’espace sécure. « Elle en aura bien besoin » me dis-je. J’attends d’en savoir un peu plus et de la rencontrer physiquement pour imaginer la suite.. Mais mon esprit gamberge en arrière plan, et déjà s’est mis au travail.

Claude:

Jamais malade ! C’est en juillet 2015 que je prends rendez-vous chez le médecin pour une voix enrouée qui s’éternise. Vite fait et on part en vacances. « Fatiguée oui docteur, comme tout le monde ! » Une échographie plus tard et soudain tu ne t’appartiens plus. Ton temps ne t’appartient plus. Ton avenir se trouve borné par le mot Lymphome : un cancer des ganglions. Les prises en charge médicale et soignante sont rapides, efficaces, et si pleine d’humanité. Les examens s’enchaînent. Il faut spécifier, caractériser pour soigner.

Je veux tout savoir et le voir aussi.. apprendre sa forme par cœur, je sais les endroits où il s’est logé. Une première médication sans effet et une hospitalisation. Son agressivité se fait sentir quasiment chaque jour et mon corps me trahit : essoufflée, difficile à piquer, cette gêne cardiaque. La caractérisation tarde. La voie centrale, puis la chambre implantable vont faciliter les choses. Rien ne m’atteint, ne me blesse si on m’explique tout ce qui se passe. Enfin la caractérisation : C’est un lymphome particulier à la fois hodgkinien et non hodgkinien. Pas banal ! première chimio sans effet….
Il va falloir tenir sur la longueur c’est tout. Des traitements existent et puis je ne suis pas la première. Il y a pire aussi. Par contre, il y a cette chance inouïe, d’être entourée et tant aimée. Finalement qui souffre le plus, la famille, les amis. Le plus compliqué c’est pour eux. Moi je pense juste : « tu dois faire le plein d’énergie, mobiliser toutes tes ressources pour ne pas être malade ». De la sophrologie, le yoga je connais les bénéfices. La pratique de la plongée sous-marine m’a appris que face aux aléas, dans un environnement inconnu, il faut réagir dans le calme. Mais -1 j’ai besoin d’être accompagnée -2 il faut trouver quelque chose de plus fort pour tenir garder l’énergie, avancer. C’est alors qu’une amie me parle d’un infirmier qui se forme à l’hypnose et qui cherche des sujets pour s’exercer. « Ça pourrait être ce que tu cherches ! » Comme une évidence !

Pierre:

Ce fameux samedi, il est donc prévu que j’aille chez Claude avant de me rendre dîner chez ma mère. Lorsque j’arrive, elle vient m’accueillir à la porte, et me propose un café. Je suis intimidé, la première chose qui me vient lorsque je lève les yeux vers elle c’est qu’elle n’a pas l’air malade. Toute ma belle assurance de professionnel s’efface, et c’est gauchement que je m’installe avec elle à la terrasse derrière la maison, et que, mine de rien, j’effectue l’anamnèse tout en sirotant un excellent café. Elle me parle de ses trois enfants, trois garçons, de son mari, de son inquiétude.. Quelle force chez cette femme. Elle minimise soigneusement chaque émotion négative autant pour me ménager que par pudeur. Je sens bien que c’est très important pour elle que je respecte cette façon de fonctionner. Elle tient à se montrer rassurante, à n’inquiéter personne, à épargner son entourage. Et cela passe avant elle même.

Je lui propose finalement de commencer, et l’emmène dans son lieu de sécurité. Je parle sur son expir. Mon esprit est tendu vers le sien. Ma vision périphérique repère chaque micro-mouvement, chaque ajustement, chaque mimique qui passe sur son visage. La tête qui penche imperceptiblement vers l’avant, les yeux qui roulent derrière les paupières closes, la déglutition tandis que j’adapte mes paroles en temps réel. D’ailleurs je suis moi-même en transe, et mon propre inconscient s’exprime, car qui mieux que lui peut effectuer de multiples choses en même temps? Tout en assurant la modulation de ma voix, les images qui me viennent et que j’utilise, dont parfois je ne connais même pas consciemment le sens.. En préparant cette séance, finalement je me fixe un but, un objectif, qui dévie et rejoins ensuite celui de ma partenaire. Du coup les images changent, se modifient, les outils utilisés aussi. Au fur et à mesure que la séance avance, je me connecte de plus en plus à elle, je me synchronise. Il se forme cette sorte de bulle hypnotique autour de nous dont parle souvent Mme Picamoles. Commencent à naître en moi de drôles d’émotions que je n’identifie pas. Une partie de moi les ressent pendant que l’autre continue de dérouler le fil de la séance, et mène la danse, d’ailleurs qualifiée de maladroite par mon esprit conscient. Lorsque la séance se finit, j’ai l’impression de bâcler l’entretien de ratification, perturbé par ces émotions que je ressens alors. Il me semble que son mari et ses enfants rentrent à ce moment, et que Claude me les présente avant que je ne parte précipitamment, presque en fuyant.

Sur le chemin qui mène chez ma mère, des émotions m’étreignent.. Un sentiment d’injustice, comment est-ce possible? Trois enfants adorables! Un mari charmant! Le prototype de famille qui mérite de « vécurent heureux et eurent plein d’enfants. »! La révolte, la tristesse, le chagrin.. Tout y passe, et c’est complètement décomposé que j’arrive à ce repas de famille.

Claude:

Grâce à elle, nous nous rencontrons à la maison ce beau samedi de septembre sur la terrasse autour d’un café. Mon mari est parti avec les enfants nous laissant pour 2 heures. Son soutien est sans faille. Si dans ses yeux il y a l’angoisse, nous rions toujours…son humour est un souffle de fraîcheur, d’amour. Les enfants eux, sont des enfants équilibrés, plein de vivacité. Ils savent que maman doit se soigner pour guérir et que ça se passe à l’hôpital avec des médicaments particuliers. C’est pas hyper marrant mais c’est comme ça !

Pierre parle peu, … écoute tellement. Jusqu’où dois je lui dire .. ? Il a le regard doux et le cancer fait tellement peur. Comment va-t-il réagir ? Même si c’est un pro, si il a la bonne distance…comment dire que l’on cherche de la force. Je ne veux pas sa force mais la mienne. Il faut trouver les mots pour ne pas inquiéter, faire entendre que le plus important est de ne pas laisser la peur nous envahir.
Et il hoche la tête toujours silencieux, accepte de m’aider et me propose une première séance d’hypnose.

Par sa voix tranquille, je me laisse conduire. Bien que connaissant les effets d’une relaxation profonde, la sensation de légèreté, d’être à l’intérieur de soi. Là où il me mène jamais je n’aurais cru pouvoir aller, aller si loin. Il est étonnant de pouvoir à la fois se poser toutes ces questions et marcher tout en étant assise : Sentir le chemin de cailloux sous mes pieds, le vent le soleil.. Comment a-t-il su ce besoin de sécurité, cette nécessité de m’ancrer solidement ? Comment fait-il pour je ressente cet apaisement avec ses mots simples qui jamais ne parlent de maladie ? C’est curieux comme si il devançait, devinait mes images mes couleurs. Ah je dois tourner d’un quart de tour encore une fois … c’est simple il n’y a qu’à l’écouter, le suivre, en confiance. Etre là sans y être, présente à soi même. C’est d’une telle intensité….Comment fait-il pour que je me sente si bien là maintenant ? comme avant.. D’ailleurs qu’a-t-il dit exactement, tout est si clair et si confus à la fois… l’image mentale si ressourçante. Nous avons bien peu de temps pour évoquer tout ça…. les voilà de retour. A peine le temps de faire les présentations il est attendu. Son départ est troublant, presque une évasion.. Pas le temps de dire merci.
Christophe mon mari me trouve bien calme. Curieux, il ose un alors ?.. Comment lui expliquer? C’est comme dans Matrix!

Pierre:

Depuis mon retour de formation c’est la première fois que je me sens ainsi en difficulté.. Une part de moi se pose à ce moment la question de ma légitimité. Une autre part de moi m’explique que j’exerce en plein dans mon décret de compétence, l’accompagnement que je me propose de réaliser étant du domaine de la relation d’aide et du soutien psychologique. Ces deux aspects entrent en conflit, telle l’image d’Épinal, vous savez? Un diable sur une épaule, un ange sur l’autre.. Chacun amène ses arguments, pour, contre, en faveur de, « mais t’es cinglé.. », « dans quoi tu te lances? », « Tu es qui pour faire ça? », « Après tout tu es infirmier! », « Tu as des connaissances! », « Tu as de l’empathie! », « Mets toi à sa place, tu aimerais qu’on t’accompagne.. », « Si les règles sont clairement établies c’est OK! », « Appuies toi sur ton expérience professionnelle, la pratique hypnotique est un plus.. Un outil. L’important c’est Accompagner, Adoucir, Préparer, Soulager.. »

Puis tout cela  se mélange, se mixe, se digère. Du conflit entre ces deux parties en émerge une troisième. Toutes ces émotions ressenties lors de cette première entrevue, ces parties qui émergent, il faut que je les reconnaisse, que je les métabolise pour les intégrer à ma propre construction d’hypnopraticien en devenir. A l’instar de la digestion qui à partir de carottes râpées fabrique nos propres cellules, notre « moi », je finis par digérer ces émotions et les intégrer à mon référentiel expérientiel. Quid de la distance relationnelle en hypnose? De cette forme d’intimité créée par la démarche? Des liens qui se tissent lors de cette danse à deux? Quel engagement suis-je près à mettre dans cet accompagnement?

Mon expérience professionnelle d’infirmier ne m’a pas préparé à cela, accueillir l’autre tout contre soi, dans son propre creuset émotionnel interne où peut s’opérer la transmutation, à soigner de manière si proche et intime.. Et c’est un véritable travail d’ajustement sur moi-même que je devais réaliser. Bien sûr je discute de tout cela en supervision avec mon amie Psychologue, Eliane, et cela me permet de remettre les choses à leur place, de métaboliser cette expérience. C’est à ce moment qu’elle m’indique l’intérêt de soutenir la main de la personne pendant l’accompagnement, qu’ainsi elle puisse se sentir soutenue et accompagnée lorsque les choses sont difficiles.

Ensuite le temps passe, et n’ayant pas de nouvelles de cette dame, je lui envoie un SMS pour prendre de ses nouvelles. Dans ce SMS je précise que si elle en a besoin, nous pouvons nous revoir. Elle en a besoin, nous nous revoyons donc un samedi de la fin du mois de septembre.

J’ai lu un excellent article évoquant le bienfait du jeûne sur le traitement du cancer. Il a été prouvé qu’un jeûne de trois jours plonge le corps dans un « mode survie ». Les cellules saines économisent l’énergie et réduisent drastiquement leur métabolisme. Les cellules cancéreuses en sont elles incapables, leur métabolisme accéléré par leur besoin de croissance est incapable de s’adapter. C’est comme si cela rendait les cellules saines hyper résistantes aux poisons médicamenteux de la chimiothérapie, tandis que les cellules cancéreuses sont incapables de faire autre chose que se gaver pour croître. Cela a pour effet d’énormément augmenter la tolérance du corps à la chimiothérapie, et réduit drastiquement les effets secondaires tels que les nausées et les vomissements.. L’inconvénient est que cela doit se gérer avec précision pour éviter que la personne ne perde trop de poids, ayant besoin de ses réserves énergétiques.

L’idée m’est donc venue d’essayer d’utiliser ce phénomène naturel en hypnose, d’aider le corps à se mettre lui-même en mode « veille » à chaque chimiothérapie, de façon que seule la tumeur se gave de ce qui circule avec le sang. Cela a donné lieu à la création d’une histoire métaphorique. C’est parler ainsi le propre langage de l’inconscient. Ces métaphores permettent à l’inconscient d’effectuer de nouveaux apprentissages en contournant la barrière consciente.. Après tout, ça n’est jamais qu’une histoire..

Lorsque je me présente à son domicile, Claude m’explique qu’elle a parfois du mal à manger. Qu’elle a passé un contrat avec les médecins dans lequel elle s’est engagée à ne pas perdre de poids, à s’alimenter suffisamment. Elle m’avoue que c’est souvent difficile pour elle, et je décide d’inclure à la séance une panoplie de suggestions visant à faciliter la digestion et la prise d’aliments.

Je commence et cette fois-ci je suis plus calme dans mon for intérieur. La connexion s’établit, et cette fois-ci les émotions que je ressens ne font que me traverser, comme les nuages traversent le ciel, et m’aident à m’orienter dans cette séance à l’instar des phénomènes idéomoteurs et de la synchronisation avec Claude.

Claude :

L’équipe médicale a convenu d’un protocole. Pour le suivre, je suis hospitalisée quelques jours. Là bas, tout est parfaitement organisé. Si nous sommes tous des dossiers, nous avons tous un visage. Jamais je n’ai eu le sentiment d’être infantilisée, démunie de mon libre arbitre. Le souhait d’être actrice de ma prise en charge a été entendu. Comme c’est bon d’être autorisée à me rendre seule aux examens, leur rapporter le cliché radio, savoir que je préfère la porte ouverte ?

Les désagréments sont connus et très bien gérés par les équipes. Il existe toute une panoplie de traitements. Mon travail de patiente est assez simple, j’ai pris le parti de ne pas y penser, ni les anticiper. Et si elles surviennent les mettre de côté. Et puis, je suis dotée d’une bonne constitution, d’une manière générale tout me profite.

Pourtant alors que rien ne me plait plus qu’une pasta improvisée avec des invités de dernière minute,les belles tablées d’apéros partagés, pleines de rires ou de sourires silencieux, la cuisine inventée, les recettes échangées sont nos habitudes. Seulement, me voilà face à un dégoût profond de la nourriture, aucune faim. Le simple fait d’entendre le chariot de repas dans le couloir me donne la nausée. L’odeur du plastique chaud me révulse. Aux personnels qui mettent tant d’énergie à nous servir de gentils mots, je m’efforce de ne rien laisser paraître. A la maison, voir l’heure du repas arriver, installer la table me donne envie de m’isoler, de fuir.

3 semaines plus tard, Pierre me propose gentiment de nous revoir. Ma mère vient de partir après quelques jours passés avec moi dont un à l’hôpital. Epreuve terrible, la sentir ainsi pétrie d’angoisse. Je suis mère aussi, comprends tellement son sentiment, et pourtant ce passage est obligée pour elle. Elle doit voir pour comprendre que tout est bien fait pour sa fille. Que sa fille, son bébé qu’elle rêve de prendre dans ses bras pour la bercer est aussi bien en place. Les armures sont fortes et fragiles à la fois, il faut exprimer délicatement l’important et  laisser les choses se faire naturellement. Notre relation est belle. 

Je reçois Pierre le samedi matin, nous échangeons sur le traitement installé. Il m’interroge sur les effets. Je ne le connais pas, j’hésite à dire, esquive un peu. A toute vitesse, je réfléchis, m’impose un « décide toi là». Justement, des aphtes sont apparus, la déglutition est un peu difficile, je n’ai pas envie de parler de tout ça. Mais il sait quand, comment et quelles questions poser. Et puis, il a l’air sincère, il est là pour s’entraîner, il prend du temps pour moi –c’est du gagnant gagnant ! Alors à moi d’être sincère aussi. Je me lance lui explique cette histoire avec les repas, le fait de ne pas perdre de poids, mes astuces (froid, doucement, de petites bouchées,…). Il écoute, entend calmement. C’est facile finalement. Je suis contente qu’il ne me plaigne pas. 

Puis il engage la séance, par une lecture du corps. Une technique pratiquée régulièrement avec les garçons pour les aider à s’installer dans le sommeil. Comme un temps calme, un apaisement qui favorise le détachement de soi-même. Il poursuit avec une histoire orientale et je plonge dans un monde d’ocre et de limon, un peuple habillé de blanc habitant une cité qui doit se protéger de ses fous.. isoler les fous, les endormir. Inquiète à l’idée de sacrifier des hommes, des femmes, des enfants… je perds le fil, pars à la découverte de la cité. Jusqu’à ce qu’il indique le signal du retour. Là, tout est calme comme espéré… Nous discutons facilement et je lui dis combien il est agréable de se sentir si léger mais c’est plus que ça. L’impression est troublante et difficile à décrire . Cet étonnement de me « voir » à l’intérieur de moi. Les images virtuelles sont d’une telle précision: les textures les couleurs. Bien plus, je sentais le mouvement de ce long vêtement blanc, la chaleur agréable du soleil dans mon exploration. Comment notre cerveau peut-il ressentir ce qu’il n’a jamais vécu réellement. Il se construit des souvenirs du passé, du futur ? Nous nous quittons plus tranquillement et je me sens comme déconnectée.

Pierre:

Comme la première fois, plus de nouvelles.. Tellement peur de déranger, respectueuse des autres, attentionnée à autrui plus qu’à sa propre personne. Je la recontacte donc, et nous prenons rendez-vous pour une nouvelle séance. Je la rassure sur le fait que nos rencontres m’apportent autant qu’à elle. Que le « gagnant – gagnant » fonctionne. Et en effet à chacune de nos rencontres j’effectue un travail de recherche et d’écriture pour préparer de nouveaux accompagnements , tel un professeur des écoles qui prépare sa classe. Mes lectures m’inspirent, mais j’ai encore du mal à me diriger dans la jungle des différentes pratiques. Est-ce que je fais bien? Est-ce que je suis légitime?

C’est à cette période que je décide d’investir dans la collection des « Collected Papers » de Milton Erickson. Je me dis que pour bien apprendre et travailler l’hypnose Ericksonienne, autant se nourrir à la source..

Lorsque j’arrive chez elle, je la trouve fatiguée. Elle me fait entrer, puis cette fois-ci nous nous installons dans le salon. Elle me fait part de son inquiétude, de son angoisse et de sa fatigue. En filigrane je sens la peur de mourir qui la taraude, elle n’ose pas vraiment insister là-dessus, mais la demande non verbale est sans équivoque. « Ce n’est rien Pierre ». « Ça va aller! » « Ça va le faire, ne vous inquiétez pas ». Ces mots sont un fil d’Ariane, sa pudeur, sa façade. Et la question me vient « Comment travailler la peur de la mort, l’angoisse et l’anxiété? »

A chaque fois que l’on aborde cette problématique, on touche aux croyances de nos patients. Y a t’il une vie après la mort? Notre destin est-il écrit? Sommes nous à notre place? Intuitivement je considère que le remède de cette angoisse peut résider dans ces éternelles questions que l’homme se pose de tout temps. Car comment avoir peur de quelque chose de déterminé ou de connu? Qu’est-ce qui peut faire peur dans la mort à part le fait de ne pas savoir? A part le fait de craindre la souffrance, la maladie, la perte des êtres chers ou l’abandon?

Et si je peux l’amener à se connecter au « grand Tout » à se sentir faire partie de l’univers, à sa place dans la grande mécanique céleste, à sentir le lien qui l’unit au monde, à sentir son cœur battre, à s’enraciner au sein même de son lieu de sécurité?.. J’espère que cela suffira.

Je commence l’induction, et enchaîne des suggestions visant à obtenir une lévitation de la main, car si ce phénomène hypnotique se produit, sa valeur symbolique sera précieuse pour amener un peu de légèreté dans sa situation. Et très utile pour ratifier la transe.. J’attends, j’enchaîne les suggestions, je parle sur son inspir, je permets à ma voix de devenir légère.. J’évoque les ballons, leur couleur, leur forme, ou des papillons, ou autre chose. Mais rien à faire. Être utilisationnel, en Hypnose ericksonienne est primordial. « Reconnaître, accepter, augmenter, utiliser.. » dit Erickson.. Voyant cela je ratifie d’un « excellent.. ces mains sont déjà en catalepsie.. » qui accentue la dissociation et ratifie l’absence de mouvement. Je poursuis en l’amenant dans ce lieu de sécurité qui est le sien. Je lui suggère de s’installer tranquillement dans le fauteuil qui lui ferait plaisir.. puis de sentir ses pieds en contact avec le sol. Peut-être même sentir leur prolongement pousser, s’enraciner dans le sol. Et tranquillement ses racines gagner en profondeur, peut-être peut elle les voir? Leur couleur? Leur texture? Sont-elles nervurées ou pleines? Sont elles chaudes ou fraîches? Peut être peut elle voir l’énergie puisée dans le sol remonter en pulsation jusqu’à gagner ses pieds et remonter ensuite dans son corps? Cela fait il une sensation agréable de chaleur, ou bien de fraîcheur? De vibration? Ou autre chose? Peut-elle sentir cette incommensurable énergie, convergeant vers ses racines, qui jaillit de la planète pour s’écouler dans son corps comme une source puissante et réconfortante?

Je lui suggère ensuite de se voir sur cette planète qui est la terre, tandis que ses pieds s’enracinent à chaque instant plus profondément, prendre le recul qui lui permet de voir la scène de plus loin, d’apercevoir peut-être la courbure de la terre, sa course dans l’espace tandis qu’elle tourne sur elle-même, et en même temps autour du soleil. Peut-être peut elle apercevoir ce ballet cosmique, tandis que la lune tourne elle-même autour de la terre, des forces formidables qui s’exercent à chaque instant sur ces objets célestes, attraction gravitationnelle et force centrifuge. En s’éloignant encore, apercevoir le système solaire dans son ensemble qui se meut dans le silence du vide sidéral.

Toutes ces forces colossales, dont l’action immense sur l’univers déterminent que vous êtes ici, maintenant.. Exactement à la place qui est la vôtre, la place qui en résulte.. A voir le lien qui vous unit à cet univers, tous ses habitants, tous ses animaux, les plantes, les rochers.. Et comment est ce lien (VAKO)? À ce moment je dépose dans sa main un cristal de quartz que j’ai pris le soin d’apporter. Je lui suggère de rétrécir tout cet univers, et de l’inclure dans ce cristal. J’ancre ensuite cet état d’expansion de conscience et la tenue de cette pierre dans la main..

Claude :

Plus que de la fatigue, c’est un état de faiblesse inconnu. Comme dans une lutte intérieure, je suis dans le contrôle le plus possible, me fait violence. Christophe, mon mari m’entoure tellement, respectant ce besoin d’isolement de sommeil. Je ne veux pas qu’il me voit faible. Il faut absolument récupérer, être debout. Nous nous connaissons bien, parler parfois n’est pas nécessaire… Alors entendre mon cartésien de mari, qui trouve l’hypnose à la limite de l’ésotérisme me répéter : »Appelle Pierre, Appelle le si ça te fait du bien. » me rend fière de lui, de sa capacité à évoluer dans ses opinions. Mais je suis consciente du travail, du temps que cela demande et je ne veux pas abuser. Il m’a beaucoup offert déjà et a certainement d’autres accompagnements. Lorsque Pierre me contacte à nouveau, je ne peux m’empêcher d’accepter. De cette séance, je garde beaucoup de souvenirs « techniques ». Pierre change de processus. Il travaille autrement ce jour. Un peu plus directif, je dois fixer un point. C’est amusant de se concentrer à ce point accompagner de sa voix. Comme dans une bande son décalée où ces paroles peuvent être en retard ou en avance sur ce que je vois ou ressens, comme les fois précédentes tout correspond, les couleurs, les formes, les textures…Pourtant quelque chose accroche, Pierre parle de légèreté. Il suggère, passe des commandes que je ne sens pas… Non ! pas de légèreté pas d’envol….Dans cet entre-deux, il est bien contrariant de ne pas réussir, de ne pas répondre à ses suggestions…ça bloque. Lui pas,…. il laisse faire un peu, attend en silence, j’en profite pour « jouer » avec mon point toujours présent. A sa reprise de parole, il change de cap et accompagne une sorte de retour mi conscient. J’ouvre les yeux, Pierre, à son habitude, m’interroge sur le confort ressenti. Il discute un peu de la prochaine étape, brouille un peu les cartes. de toutes façons, j’entends sans vraiment écouter, tout en comprenant qu’il va falloir décompter depuis un grand nombre, qu’à un moment il prendra ma main. Dès que je lui confirme que tout va bien que je suis prête (oui cette fois oui je suis d’accord) le compte à rebours commence. Passée la première dizaine facile, je cherche les nombres. Tant d’efforts pour les énoncer, il est quasiment impossible d’articuler. C’est étonnant de garder ce sens du nombre, savoir ce qu’il représente et d’être bloquée à l’identifier. Alors que Pierre me propose d’investir ce lieu si personnel. J’y suis téléportée quasi instantanément au point qu’il faille même m’efforcer de freiner, ralentir pour en profiter. Dans ce lieu, par une nuit claire où je peux voir toutes les étoiles, l’univers je m’ancre profondément…Une séance particulière, ma famille rentre plus tôt que prévu, et même s’ ils se font discrets, je les entends tout en étant là-bas, envie de rester, presser de revenir. Là encore je ne sais pas si Pierre l’avait convenu mais le retour se fait au bon moment en douceur. Il m’accueille avec le sourire: « vous n’aviez pas envie de soulever la main, n’est ce pas? » Je m’en veux de n’avoir pas réussi, n’avoir pas rempli ma part du contrat et n’ose pas lui répondre. Comme à chaque fois, il ne manifeste rien aucune déception ou satisfaction liée à la séance. Comme à chaque fois, il conduit la discussion, rit blague un peu, avant de partir. 

Suite à cette rencontre où il me donne un cristal de roche, Pierre me transfère un mp3 qu’il a conçu. Avec le rythme des chimio, un rituel extrêmement précis s’installe, …comme les grands sportifs. L’écoute programmée du mp3 en est une étape. Pour chaque hospitalisation, mon sac trouvera les mêmes vêtements, les mêmes livres, tous les « gris-gris » offerts par mes proches, etc… Chaque semaine, depuis mon admission, jusqu’à la sortie; chaque journée depuis le lever jusqu’au coucher se construisent sur le schéma décidé. Il se développera, s’enrichira à chaque cure. Facile dans un environnement où tout est procédure. S’obliger à rester active, en contact avec les autres grâce à ces tâches est essentiel car j’ai aussi construit ma bulle, reconnaissant sans difficulté l’aspect régressif. Dans cet espace de partout et nul part, qui s’ajoute à mon lieu personnel, très protecteur, je dois trouver des raisons de sortir.

(… A suivre…)

©Claude Thomas et Pierre Le Belleguic

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A propos de Pierre Le Belleguic

Infirmier en psychiatrie depuis 1999, en formé à l'hypnose ericksonienne depuis 2015. Passionné par la relation soignant/soigné et toutes les techniques relationnelles.

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Commentaire sur “Hypnose et Cancer: Regards croisés (1/3)

  • Christelle

    J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cet article, très passionnant, concernant votre rencontre.
    De nombreuses émotions m’ont submergées et merci pour ce partage. Vos cheminements respectifs, tant professionnel que personnel sont un beau témoignage, bouleversant de sincérité. Merci à vous deux d’être ce que vous êtes et je suis fière que nos routes se soient croisées.