Résumé
Dans un premier temps je décris brièvement ce que sont l’hypnose éricksonienne et l’HTSMA et je donnerai des exemples cliniques. Je développerai aussi, en m’appuyant sur des considérations théorico-cliniques relatives au psychotrauma et aux psychothérapies, en quoi elles sont des aides précieuses pour le traitement des psychotraumas. En effet, elles réintroduisent chez les personnes qui ont un vécu de psychotraumatisme une mise en mouvement particulièrement utile lorsque le temps s’est comme arrêté. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de raconter le trauma en détail, il suffit qu’il soit « digéré ». Ces thérapies aident aussi à dissocier ce qui mérite de l’être et à ré-associer ce qui a été dissocié.
Enfin, il y a nécessité dans les thérapies des traumas de tenir compte du vécu insécure des personnes, lié à l’absence de protection et aux troubles de l’attachement, lorsque ceux-ci sont présents, ce qui est souvent la partie la plus difficile de la thérapie.
Introduction
En travaillant en Centre d’Hébergement et de Réadaptation Sociale pour des femmes victimes de violences, j’ai découvert que l’approche classique (d’inspiration analytique) était peu opérante :
– soit les femmes ne voulaient pas parler du passé ni même venir
– soit je les écoutais se déverser et cela ne changeait rien : « j’ai bien compris, je le quitte… », et elles retournaient peu après avec leur conjoint
– les flash-back persistaient.
Devant ces limites, je me suis formée à l’approche systémique auprès de Jean-Paul MUGNIER à l’IDES (Institut D’Études Systémiques). J’y ai appris à créer une meilleure alliance thérapeutique, entreprenant enfin de vrais suivis. Les femmes se dégageaient mieux de certaines interactions pathogènes et anticipaient davantage les difficultés. Par contre, la limite restait le travail sur le trauma, avec peu d’effet sur les symptômes post-traumatiques.
Ces dernières années, je me suis formée à l’hypnose éricksonienne et à l’HTSMA après avoir perçu l’intérêt de l’hypnose dans les thérapies brèves orientées solutions.
Je vais décrire brièvement ces méthodes qui sont des outils majeurs pour le psychotrauma.
Hypnose thérapeutique
Qu’est-ce que l’hypnose ?
Elle utilise pour amplifier l’action thérapeutique le phénomène naturel d’absorption et de double focalisation de l’attention, appelée aussi dissociation au sens de Pierre JANET : le sujet est à la fois acteur et spectateur de l’expérience qu’il est en train de vivre.
Elle est familière à tous : en relèvent la rêverie, la conduite automobile effectuée de manière automatique, etc…
En invitant le patient à prêter attention à son corps, à sa sensorialité, en lui tenant un discours imagé, métaphorique, adapté au problème qu’il veut traiter et proche de sa manière d’être et de penser, l’hypnothérapeute l’aide à activer son inconscient (au sens de Milton ERICKSON: ce qui n’est pas conscient, le réservoir de ressources incluant tous nos apprentissages, etc.).
D’un point de vue neurologique, vivre une situation en hypnose met en jeu les mêmes aires cérébrales que celles recrutées par l’expérience réelle. L’état hypnotique est un état d’hyperéveil à soi qui amplifie la plasticité mentale et permet d’explorer de manière créative de nouvelles manières d’être et de trouver des solutions originales à ses problèmes.
L’hypnose du XIXè s. a été décriée par FREUD (formé au départ à l’hypnose très directive de CHARCOT) alors qu’il créait la psychanalyse, puis elle a été oubliée. ERICKSON l’a renouvelée avec un abord plus permissif que directif pour mieux l’adapter au patient. Sa réintroduction en France est récente, via l’anesthésie et l’analgésie.
En psychothérapie elle est efficace dans beaucoup de domaines, comme les psychotraumas, et elle agit sur l’être humain dans sa globalité. Cette efficacité vient également de la qualité de l’alliance thérapeutique qu’elle active, avec une proximité patient/thérapeute qui facilite la mise en forme et la résolution des problèmes.
En effet le thérapeute vit simultanément au patient des expériences très voisines, corporelles, sensorielles, affectives, cognitives et imaginaires : dans la communication hypnotique tout se passe comme si « la frontière entre soi et l’autre s’estompait » (Thierry MELCHIOR).
L’hypnose est intéressante pour les traumas d’abord parce que les patients présentent des symptômes de dissociation pathologique. On les aide d’autant plus facilement à s’appuyer sur la ressource de la dissociation thérapeutique qu’ils savent se dissocier : par exemple en agissant sur l’angoisse et dans les situations de stress grâce aux ancrages sécures (à savoir, se placer en imagination dans un lieu apaisant, faire venir près de soi un tiers sécurisant – être humain, animal -, se mettre dans une posture particulière, tenir un objet rassurant, réel ou imaginaire…).
Il n’est pas indispensable de parler précisément du trauma : on ne réactive pas ainsi de boucle traumatique, on travaille sur ses conséquences.
Première séance : s’absorber dans la contemplation d’une mer calme pour mieux supporter un tsunami…
Une collègue m’adresse sa patiente qui a vécu de lourdes violences conjugales, pour un travail spécifique sur des séquelles post-traumatiques. Elle évoque d’emblée le « tsunami » subi, ne semblant pas trop rassurée. Je lui propose donc de commencer par une sécurisation, pour créer aussi une bonne alliance. Je lui demande si elle a un lieu où elle se sent bien ou si elle a déjà fait quelque chose qui, en retour, lui a apporté un sentiment de sécurité. Elle dit de suite qu’elle adore regarder les vagues dans sa ville natale.
Je l’invite alors à entrer dans cette expérience. Et il vous est possible de nous accompagner aussi à la plage quelques minutes…
« Si vous le souhaitez, installez-vous le plus confortablement possible sur cette chaise peu confortable… et vous pouvez fermer les yeux quand vous voulez si cela vous est utile… », et j’induis la double focalisation de l’attention : « pendant qu’une partie de vous prête attention aux sensations de contact entre votre corps et votre chaise, voilà, très bien…, puis vos pieds avec le sol, votre respiration, inspire, souffle, très bien…, puis prête attention à toutes les sensations corporelles qui arrivent… », « une autre partie de vous est à la plage… prenez le temps de bien vous y installer, à votre rythme… assise, debout, couchée, peu importe… dès lors que cela vous aide à vous absorber… encore un peu plus… Et regardez les vagues… et tout l’environnement autour de vous, et observez votre corps… Et… ici… Maintenant…
Entendez les bruits autour de vous… En toute sécurité… » Et à ce moment, en présence de la patiente j’hallucine le bruit de l’eau qui se retire des galets – en mimétisme avec elle sur sa plage de galets (je l’ai vérifié ensuite).
Etc. Au fur et à mesure que je parcours le VAKOG (visuel, auditif, kinesthésique, olfactif et gustatif), elle se sent de mieux en mieux. Cela, c’est l’hypnose « bon souvenir » que tout débutant apprend à faire, avec des suggestions suffisamment vagues pour que le patient puisse s’y retrouver, et dans la synchronisation la plus fine pour que nos imaginaires s’ajustent le plus possible.
Induction suivante. Mon inconscient a du enregistrer l’allusion au tsunami car je l’amène à assister à une tempête, à bonne distance pour se mettre à l’abri comme elle sait faire (ça, je le sens intuitivement). En processus hypnotique, l’inconscient entend les choses de manière littérale, la patiente se vit en train de prendre du recul physiquement par rapport à la tempête. Elle reste tout à fait calme (plus tard elle me dira qu’elle adore les tempêtes – cela aide!).
Troisième temps : je lui propose une mise en situation où elle vit un petit problème, en alternance avec la plage. Mais les patients font ce qu’ils veulent… Manifestement son inconscient a choisi la voie « hard », c’est le tsunami qui arrive : je vois son corps reculer vivement, sa respiration se couper. Je lui demande fermement (l’hypnose éricksonienne sait aussi être très directive quand c’est utile), de repartir instantanément dans son lieu sécure et l’aide à s’y réabsorber. Sa respiration se calme, son corps se relâche. Puis je l’invite à réexpérimenter sa perturbation, si elle s’y sent prête, tout en restant dans ses sensations corporelles actuelles, en retournant à la plage si besoin. Je l’accompagne en me plaçant dans une expérience analogue d’alternance de problème et d’accalmie, pour être dans un processus identique au sien, en fonctionnement miroir (les dernières découvertes montrent que les neurones miroirs s’activent aussi sur les intentions). Elle se calme.
Je lui fais la suggestion post-hypnotique classique de renouveler ce genre d’expérience aussi souvent qu’elle en a envie ou besoin, volontairement ou inconsciemment.
Nous avons terminé par un ancrage de sécurité : « est-ce que vous me permettez de vous proposer quelque chose d’un peu curieux? Je me demande laquelle de vos deux mains va être la plus capable de s’occuper de votre protection. Cette main, je vais lui demander de se diriger vers une partie de votre corps pour vous protéger.
Prenez tout votre temps avant de revenir ici poursuivre votre journée… ».
Elle m’a appris au rendez-vous suivant qu’elle avait réutilisé à plusieurs reprises cet exercice en auto-hypnose « en le mettant à sa sauce », pour s’endormir, et qu’elle avait été « zen » pendant plusieurs jours après notre séance.
L’HTSMA (Hypnose, Thérapies Stratégiques, Mouvements Alternatifs)
Qu’est-ce que l’HTSMA?
« L’HTSMA est une approche relationnelle dans laquelle le thérapeute s’implique […], une thérapie du présent orienté vers le futur qui engage patient et thérapeute dans une expérience partagée qui mobilise à la fois la sensorimotricité, l’imaginaire et l’esprit » (site MIMETHYS).
L’HTSMA a été créée par le Dr Éric BARDOT il y a plus de 10 ans à partir d’une clinique modélisée sur un mode relationnel et interactionnel, déjà travaillée avec des collègues de NANTES. Je le cite : « A la rencontre des mondes de l’hypnose, des thérapies brèves, auxquels nous intégrons les mouvements alternatifs, thérapeute et patient vont co-construire un imaginaire partagé, matrice à partir de laquelle vont s’initier les processus de changement par activation des ressources ».
Cette psychothérapie intégrative se propose de « déconstruire les imaginaires figés des patients, dans une approche coopérative et multidimensionnelle, en lien avec les thématiques de troubles de l’attachement et du psychotraumatisme ». (Manuel HTSMA, 2012-2013, p.2 & 3)
Le thérapeute utilise en s’adaptant à chaque patient les techniques et les stratégies les plus pertinentes, issues des référentiels suivants : l’hypnose éricksonienne, le courant systémique, le constructivisme social, les travaux sur l’attachement et l’intersubjectivité les thérapies stratégiques (PALO ALTO, thérapies brèves orientées solutions – STEVE DE SHAZER…), les thérapies narratives (Mickaël WHITE) et collaboratives l’EMDR (Francine SHAPIRO), le courant provocatif (Franck FARRELY), la logothérapie (Viktor FRANKL) etc.
Les techniques d’alliance sont celles des thérapies brèves : observer pour entrer dans le monde du « patient », utiliser ses mots et ses formules, travailler ensemble à définir et à atteindre des objectifs réalistes, reformuler, recadrer, complimenter, évaluer (échelles subjectives). Les symptômes étant des tentatives dysfonctionnelles de solution à des problèmes, on va mobiliser chez le patient ce qui peut se mettre en mouvement et non ce qui est figé. Tout sujet a en lui et autour de lui des ressources qui peuvent être activées. Plus exactement, on s’occupe non du symptôme, mais du lien que le patient entretient avec lui (son problème).
Le tissage entre sa partie dysfonctionnelle et sa partie saine amène à une nouvelle expérience qui ouvrira à de nouveaux possibles.
Utilisation des Mouvements Alternatifs
Ils activent la sensorimotricité et ont comme fonctions :
- induire la focalisation double de l’attention (la dissociation)
- aider le sujet à s’absorber suffisamment dans son problème et permettre le travail de réassociation
Thérapeute et patient s’installent le mieux possible tournés tous deux vers un écran imaginaire.
Le thérapeute effectue une stimulation externe bilatérale de chaque côté du corps du patient : il fait des tapes alternatives sur ses genoux (taping), ou il demande au patient que ses yeux s’appuient (ou poussent) sur les doigts du thérapeute qui les déplace de droite à gauche devant lui (mouvements oculaires).
Une relaxation physiologique s’installe en général. La première hypothèse neurophysiologique, l’activation alternée des hémisphères cérébraux permet de traiter différemment les informations parvenant au cerveau. Une autre hypothèse est que les mouvements alternatifs, répétés et pratiqués sur des temps courts, provoquent comme une « hypnose fractionnée » sur l’enveloppe corporelle, ce qui permet de déconnecter le mental et de « débrancher » avec la manière habituelle d’être, de penser et de faire. Le sujet vit une expérience corporelle qui le mobilise dans toutes ses dimensions.
Ce point différencie les thérapies intégratives des thérapies verbales, et est très utile dans les traumas. En effet, ce qui fait traumatisme s’encode sous des formes sensorielles plus que cognitives; encore plus que dans l’hypnose, les mouvements alternatifs permettent d’accéder à ces formes et de les modifier. De plus, le partage d’expériences polysensorielles contribue grandement à renforcer l’alliance thérapeutique, peu facile avec ceux dont l’histoire est marquée par les violences : ils ont un relationnel complexe, avec souvent un attachement problématique.
Les mouvements alternatifs régulent la dynamique relationnelle dans un accompagnement idéomoteur. Métaphore des mouvements de bercement, ils constituent une bonne mise en scène pour se ré-accorder. La synchronisation respiratoire patient/thérapeute s’installe parallèlement à celle des mouvements. Celle des yeux et des doigts est aussi une métaphore du lien. Cela permet de maintenir le patient (et le thérapeute) dans le travail intérieur sans qu’il soit débordé ou qu’il en sorte.
En étant attentif à l’effet sur lui-même et chez le patient des mouvements alternatifs, en observant en pleine conscience tout ce qui se passe, le thérapeute renforce l’empathie et l’accordage affectif avec son patient. Tous deux vont « s’accorder » dans une construction commune basée sur l’accueil de ce qui se passe là, maintenant, à partir d’un problème « externalisé », c’est-à-dire représenté par le sujet à l’extérieur de lui (ici projeté sur un écran imaginaire). L’imagerie mentale l’aide à entrer en contact avec sa souffrance et à la décrire, tout en contournant les représentations trop cognitives qui risquent d’établir une trop grande distance avec son expérience émotionnelle et sensorielle.
Le travail s’effectue à partir d’une scène choisie, ou seulement d’un détail, pour éviter les abréactions majeures (par exemple un détail de la voiture qui a foncé sur lui lors d’un accident).
L’abréaction n’est pas recherchée en HTSMA car elle présente différents risques : une nouvelle traumatisation, la perte de contact avec le thérapeute voire la rupture de la relation.
On demande au patient quels sont les effets de la vision de cette scène : l’émotion, les sensations corporelles et les pensées et croyances négatives qu’il a sur lui en retour. Dans l’exemple cité, cela peut être une angoisse extrême, le ventre noué et « Je vais mourir ». On lui demande ensuite de focaliser sur ces 4 composantes (scène sur l’écran, émotion, localisation corporelle et croyance négative), puis le thérapeute débute les mouvements alternatifs.
Les sensations corporelles et sensorielles, les images et les pensées évoluent rapidement. Les émotions paralysantes s’éteignent. Dans l’échange verbal suivant chaque séquence, le patient rapporte « ce qui lui est venu ». Le thérapeute l’invite à focaliser dessus et reprend l’alternance mouvements alternatifs/échange verbal jusqu’à ce qu’un changement significatif se produise. Il s’appuiera dessus pour l’amplifier, à l’aide de mouvements alternatifs ou de pratiques issues des thérapies brèves et de l’hypnose: prescription de tâches, recadrages, métaphores, ancrage dans le corps par des gestes idéomoteurs.
Le sujet va ainsi pouvoir sortir de situations figées et se remettre en mouvement.
L’HTSMA se caractérise par une dynamique très interactive et une intersubjectivité très fine. C’est dans une rencontre vraie (toucher l’autre et être touché par lui) que va s’opérer le changement : le couple patient/thérapeute s’engage dans un espace imaginaire partagé (la matrice intersubjective de Daniel STERN) dans lequel vont prendre forme problèmes et ressources. Ce qui donne une réalité au travail fait dans le virtuel, c’est que cela « parle » autant au patient qu’au thérapeute.
Dans ce climat affectif étayant, une co-construction originale s’effectue, s’appuyant sur la créativité et les ressources des deux. Plus qu’une expérience émotionnelle correctrice, cette expérience engage le sujet dans son entier (sensoriel, émotionnel, comportemental, cognitif) dans sa relation à lui-même, aux autres et au monde. Elle lui permet de remettre en jeu sa vision des problèmes et de sa vie et de découvrir une nouvelle perception de sa réalité, favorisant ainsi des modes relationnels mieux adaptés.
L’ajustement très fluide contribue à partager un moment privilégié « d’être ensemble », ce qui renforce la base sécure du patient. Si cela est utile, le thérapeute peut faire venir en protection des tiers en utilisant des expressions comme : « faites venir à côté de vous quelqu’un avec qui vous avez fait une expérience de soutien, depuis que vous êtes tout petit jusqu’à maintenant, qui vous a pris par la main et qui vous a aidé ».
Lorsqu’il n’y a pas de tiers sécure, le thérapeute peut jouer d’emblée la fonction de tiers protecteur. La pertinence du travail thérapeutique s’évalue à partir de ce qui change chez le sujet dans sa vie quotidienne.
Première illustration clinique : ou comment l’inconscient traite différemment une image traumatique
Une jeune femme subit du harcèlement moral de la part de son compagnon. Ce vécu est aggravé par le suicide récent de son père, car c’est elle qui l’a découvert avec la moitié du visage en moins et l’œil qui pendait.
Dix minutes avant la fin de la troisième séance, je la sens très mal, dans un vécu très traumatique, en contraste avec la dynamique positive précédente. Je lui propose de poursuivre, dans une séquence que j’annonce courte, pour l’aider à mieux faire face au retour d’images traumatiques.
Utiliser les mouvements oculaires était un choix osé devant le peu de temps disponible et car nous n’avions jamais travaillé ainsi, mais je sentais que c’était possible car elle s’était montrée très réceptive à l’hypnose. Elle accepte et place spontanément sur l’écran de ma main la moitié du visage abîmé; elle zoome sur l’œil qui pend.
Elle est très mal, à 10/10 évalue-t-elle, sa respiration se bloque comme si elle étouffait, c’est la colère qui domine.
Je démarre immédiatement les mouvements oculaires. Deux séquences plus loin la respiration devient plus ample. Une image s’impose à elle : celle de son père sur la plage, alors qu’elle était enfant, avec les écouteurs du walkman, la tête tournée et le visage déformé, un peu comme son visage quand elle l’a trouvé mort. Elle rit car c’est un bon souvenir, son père a un peu une tête de clown.
Depuis le début je « vois » parfaitement sur l’écran ce qu’elle me décrit. Mouvements oculaires pour ancrer, elle se détend encore. Je fais revenir l’image de départ, elle me dit « c’est drôle, à la place de la moitié manquante c’est cette image qui vient, ça s’étend à tout son visage ». Elle sourit et s’apaise. Ancrage par mouvements oculaires rapides. Elle me montre alors quelques photos d’identité de son père jeune. Nous les regardons ensemble : c’est congruent car elle m’avait dit qu’elle avait revu récemment en famille des photos de son père et que cela lui avait fait du bien…
L’ensemble de la séquence avec les mouvements oculaires a duré 1/4 h… Cela prend parfois plus de temps ! A l’entretien suivant, elle allait bien mieux, les images n’étaient pas revenues. Nous avons continué sur ses problèmes de couple et le deuil difficile de son père.
Deuxième illustration clinique : traitement des séquelles psychotraumatiques suite à une crise conjugale et disparition de symptômes physiques associés
Je vous présente cette situation avec les objectifs suivants :
- Illustrer comment une patiente a réinterprété un vécu traumatique grâce à la relation thérapeutique
- Montrer la richesse de la communication intuitive hypnotique, en développant comment thérapeute et patient se rejoignent dans des mises en formes voisines
- Questionner les modes opératoires en jeu, en émettant quelques hypothèses
Cette femme vient me voir pour des difficultés de couple. Au bout de 5 mois de thérapie, elle décide de quitter son mari et elle prend un logement. Quelques temps après, elle aborde avec lui certains aspects matériels de la séparation et il s’énerve. Elle clôt la discussion et s’en va. Il la suit, elle prend peur et, dans sa précipitation à partir, elle heurte sa voiture avec la sienne.
Notre rendez-vous a lieu six semaines après. Elle ne peut plus le voir car elle en a peur. Elle a le dos coincé depuis 3 jours. Elle raconte : « il a pété un câble, il a donné des coups de pied et de poing sur ma voiture, dans le pare-brise. J’étais pétrifiée, il a arraché mes essuie-glaces puis mes rétroviseurs. Je vais m’en prendre une, ai-je pensé, puis ça a été le trou noir ».
Je lui propose une séquence avec mouvements oculaires qui se termine alors qu’elle me dit en riant « je vois le mouvement de votre main et je me vois en train de lui faire ‘bye bye’ (elle agite la main), je ne me sens plus coincée, la voie est libre, je peux partir ». Je synchronise volontairement, riant aussi, en lui répondant qu’elle a repris mon mouvement d’essuie-glaces, elle rit à nouveau en me rappelant qu’il les lui avait arrachés! Je l’invite à faire le point sur le ressenti de son corps de la tête aux pieds : plus de tensions sauf aux cervicales.
Reprise du travail en mouvements oculaires en se centrant sur cette zone de tension habituelle chez elle, cela se voit à sa posture. Elle se détend puis elle évoque des tremblements essentiels dans les mains et dans le cou depuis cette histoire. Cela m’évoque le livre de Peter LEVINE « Réveiller le tigre » sur le traitement du psychotraumatisme. Il y relate que l’impala poursuivi par un tigre tremble une fois hors de danger, ce qui lui permet de « décharger » l’impact corporel lié à la peur ressentie; ainsi il peut retourner vivre apaisé dans la savane.
Je lui raconte cette histoire, recadrant ainsi ses tremblements non plus comme symptôme mais comme tentative de solution : une tentative de décharge, non aboutie, de sa peur.
« Je n’y avais pas pensé ».
« Pensez à ça! » Reprise des mouvements oculaires. Deux-trois séquences après, je sens des paresthésies dans mes jambes puis dans mes pieds, comme si ça tremblait de l’intérieur. Les paresthésies dans une partie du corps du thérapeute signalent souvent un changement en cours au même endroit chez le patient. Je suis connectée à son vécu de tremblements, mais pas dans les mains et le cou.
Je lui demande ce qu’elle sent dans ses jambes. Elle me répond que c’est comme si les tensions du haut du corps étaient parties par là, elle l’illustre d’un geste. Mouvements oculaires, les sensations déplaisantes disparaissent dans mes jambes, elle se sent très bien de son côté…
Il n’a plus jamais été question de problèmes somatiques dans la suite de la thérapie et elle a pu progressivement s’affirmer face à son mari. Après une première synchronisation sur les essuie-glaces, c’est une belle métaphorisation corporelle que ce processus de décharge dans une sorte de danse à deux… La question des tremblements dans les mains s’est peut-être réglée lorsque ses mains sont entrées en action en faisant « bye bye » et la peur localisée dans le cou « déchargée » dans les jambes, logiquement connectées à l’action de fuite (suggérée par mon histoire).
Dans une transe hypnotique partagée, une enveloppe polysensorielle nous englobant semble s’être créée. Mes jambes semblent avoir capté ses sensations – ou est-ce nos cerveaux qui ont connecté ? J’ai en effet « senti » un probable mouvement de déplacement de ses tensions dans le bas du corps, avant qu’elle ne me le dise. Le fait d’être formée à la relaxation et de pratiquer le Qi Gong (dans lequel on décharge les tensions à l’aide de l’image du déplacement énergétique) est-il intervenu dans notre dialogue corporel ou ai-je seulement été une caisse de résonance, résonnant en harmoniques avec son corps?
L’activation mimétique des neurones miroirs est une des hypothèses actuellement avancée pour expliquer des mécanismes de transmission non conscients de corps à corps. Ces neurones déchargent chez un sujet qui regarde un autre agir. Grâce à ces mécanismes comme si, ce sujet ressent alors une partie de l’autre comme s’il effectuait le même acte ou ressentait la même émotion.
Le fonctionnement mimétique permettrait ainsi d’entrer en empathie ou en sympathie avec autrui. L’hypnose le facilite. Un problème peut ainsi prendre forme et se résoudre en utilisant en plus du travail conscient du thérapeute des canaux non conscients de traitement de l’information. L’échange verbal à la fin s’est limité à attirer son attention sur ce qui se passait dans son corps, ce qui a sans doute renforcé le processus.
Plus généralement, la possibilité d’initier ou de réactiver de manière positive, des processus défaillants, par le vécu et/ou la parole grâce à la synchronisation patient/thérapeute, semble un outil thérapeutique intéressant en psychosomatique et en cas de carences précoces.
Selon Daniel STERN, la psychothérapie est un voyage créé à deux qui permet le changement. Le travail dans le « Ici et maintenant » est le plus efficace.
Il écrit : « Le cheminement à deux peut conduire à des changements spectaculaires. […] Ce point de vue ne se fonde pas sur un modèle déficitaire, mais sur un modèle créateur de contextes[…]. […] … chacun participe intuitivement à l’expérience de l’autre. […] Pour qu’il y ait écho entre deux personnes, elles doivent être synchrones sans en être conscientes. […] Leurs expériences ne sont pas nécessairement les mêmes. Mais elles se sont suffisamment semblables pour que […] surgisse une « conscience » de partager le même paysage mental. […] Cette chorégraphie délicate se passe surtout en dehors de la conscience. Dans un voyage de sentiments partagés, […] ce partage intersubjectif d’une expérience mutuelle est saisi sans qu’il soit nécessaire de le verbaliser. […] »
Bien sûr, il faut une quête de sens pour construire une compréhension psychodynamique et créer un récit de vie. » Cette description me semble bien rendre compte de ce qui se passe en hypnose et en HTSMA.
Le thérapeute « entre dans le bac à sable » comme le dit Éric BARDOT, les stimulations alternatives facilitent l’accordage.
Utilisation de médiateurs
Cet outil est très intéressant, en particulier pour les personnes ayant vécu des traumatismes. Yvonne DOLAN développe bien cet aspect dans son ouvrage. Elle utilise tout objet ou production comme support de réassurance (« doudous thérapeutiques »…) ou support de travail (journal intime, lettres à l’agresseur, contes, dessins…).
Les propositions se construisent à partir du monde du patient, fidèles en ce sens à l’esprit de l’hypnose. Par exemple une jeune femme abusée très jeune m’a évoqué son plaisir à regarder Kaa : nous sommes allées sur la toile visionner ce python hypnotiseur et écouter son induction hypnotique « Aie confiance ». Ma réaction spontanée (je n’avais jamais vu le film), ratifiée par les commentaires des internautes, « quel bel envoûtement sexuel! », a entraîné chez elle une prise de conscience résolutoire. Et elle a commencé à quitter son comportement de victime… Au bout de presque un an de thérapie.
Il ne faut pas imaginer que tout se règle en quelques séances ! J’utilise volontiers des peluches, des marionnettes ou des objets avec les adultes pour externaliser les problèmes ou les personnes sur une scène thérapeutique. Les marionnettes s’autorisent à être gentiment provocatrices. En général, les adultes apprécient…
Par exemple, ma marionnette loup incarnant au travail le « chef macho » avec qui cette femme souvent dissociée avait des problèmes, a déclaré à sa marionnette :
« T’es pas un peu conne, toi? Tu ne crois pas que c’est plus simple d’ouvrir la porte? » (sa marionnette devait délivrer un lion en cage en grignotant le parquet!) Dans la suite du jeu, après une suggestion déguisée « Tu crois que je ne vois pas ton manège? Si tu veux la clé, il va falloir que tu apprennes à me la demander! », elle m’a répondu : « Mais ça n’est pas con ça! Je n’y avais même pas pensé! ».
Ses relations avec son chef se sont ensuite apaisées (je n’étais arrivée à rien par le dialogue).
Articulations entre la clinique du psychotraumatisme et les approches utilisant l’hypnose
Petit retour sur la clinique
La personne qui subit un traumatisme vit un sentiment de fragmentation, autrement dit, le sentiment d’être et de n’être plus : c’est le clivage traumatique au sens de coupure comme le décrit FERENCZI. Je le cite : « La personne se clive en un être psychique de pur savoir qui observe les événements de l’extérieur, et un corps totalement insensible. Un choc inattendu […] agit pour ainsi dire comme un anesthésique. […] La paralysie totale de la mobilité inclut aussi l’arrêt de la perception, en même temps que l’arrêt de la pensée. La conséquence de cette déconnection de la perception est que la personnalité reste sans aucune protection ». Il trace une piste pour traiter les états de sidération : « Il faut répéter le traumatisme lui même et, dans des conditions plus favorables, l’amener, pour la première fois, à la perception et à la décharge motrice. »
Pierre JANET parle de son côté de dissociation. Elle place le sujet en dehors de sa vie, comme un spectateur incapable de se remettre dans le mouvement. J’ajouterai que parfois c’est le corps qui se manifeste par la plainte, par des souffrances déconnectées des émotions et/ou des pensées – ou encore c’est le règne des réminiscences, ou des émotions envahissantes et paralysantes.
De manière générale, l’individu tente de s’adapter aux situations. Le problème s’installe lorsque les réponses adaptatives immédiates deviennent dysfonctionnelles dans la durée. En état de stress dépassé, la détresse s’installe, vécu subjectif négatif, engrammé dans le corps, à l’intensité dysfonctionnelle. Ses effets se maintiennent dans le temps et ne sont pas congruents avec le contexte présent.
Face à cela, on trouve trois types de réactions qui, comme le développe Éric BARDOT, répondent à trois thématiques : l’évitement, la lutte contre et la sidération.
- Évitement, fuite, agitation désordonnée (panique) > Phobie Quand j’évite, j’évite pour contrôler.
- Lutte contre > Hyper-contrôle, aspect obsessionnel (compulsif) Quand je lutte contre, je lutte contre pour éviter Exemple: par focalisation, on voit des agresseurs partout
- Sidération (faire le mort) > Dissociation (sur les plans cognitif, psychomoteur, affectif) Processus physiologique de survie au départ, elle devient pathologique quand le sujet reste figé à distance dans le vécu dissociatif : une partie évite pour maîtriser pendant qu’une partie maîtrise pour éviter, les deux actions se font à des niveaux différents. Exemple : une personne se dissocie souvent dans l’instant de viol : son corps se laisse faire, son esprit part ailleurs.
La réponse « Faire le mort » est probablement la meilleure pour rester en vie. À distance, cette personne peut reproduire ce comportement dans des relations sexuelles désirées. Le traumatisme provoque aussi une altération temporelle : il arrête, souvent brutalement, l’écoulement du temps, au profit d’un temps cyclique, rythmé par le retour intrusif du passé sous forme de réminiscences et de mnésies remaniées par le vécu actuel.
Muriel SALMONA déclare que dans les traumas majeurs la seule manière de déconnecter neurophysiologiquement serait de se placer à nouveau en situation de victimisation : il y aurait nécessité d’augmenter le niveau de stress pour réenclencher la disjonction du circuit émotionnel. La mémoire traumatique (avec circuit de peur conditionnée) est responsable de conduites paradoxales de dépendance à l’agresseur, de conduites à risque et de mises en danger. Ce sont des conduites dissociantes qui s’imposent à la victime pour échapper à une angoisse et une détresse intolérables, qui permettent de la soulager en créant un état dissociatif avec anesthésie affective et sensitive, dépersonnalisation et état de conscience altérée.
Ce mouvement de spirale infernale des conduites dissociantes, paradoxal et déroutant pour les intervenants, s’apparente aux processus addictifs. Par ailleurs, la clinique du trauma simple est différente de celle du trauma répété. Quand il y a répétition, comme le dit Éric BARDOT, il y a non seulement trauma sur l’acte, mais aussi trauma sur la protection.
Ce double traumatisme, basé aussi sur une expérience de réactivation, relève d’une clinique dans laquelle la problématique ne se situe pas au niveau individuel mais relationnel. C’est souvent la question du tiers qui n’a pas été en position de soutien au moment de l’agression. La personne est piégée tant qu’elle s’attribue le trauma. Il s’agit d’accéder au scénario antérieur qui entretient la boucle.
Par exemple dans les situations d’inceste, l’attitude de la mère est perçue comme une validation de l’agression du père (double agression).
Trois processus relationnels seraient en jeu :
- Le processus d’envahissement, d’effraction : Pour qu’il existe un traumatisme, il faut qu’il existe une intrusion. Ce processus met en scène le contexte, le vécu insécure, la mort physique.
- La perte de contrôle, qui porte sur le sens et l’impuissance. Ce processus met en scène la relation de l’individu à lui-même et active l’axe folie/confusion/délire.
- La perte de protection du tiers en position d’autorité : Ce processus, ancrant les traumas les plus sévères, met en scène la mort sociale et les processus de déshumanisation, d’exclusion, de rejet, d’abandon (être pris pour un objet).
Conséquences : des fondamentaux pour des thérapies adaptées au trauma
Dans tous les cas, il s’agit de travailler l’expression de ces trois processus : la relation au contexte (qui pose la question de l’envahissement et de l’espace sécure) la relation à soi (qui pose la question du sens et de la capacité de contrôle) la relation à l’autre (qui pose la question de la reconnaissance et du soutien)
Première difficulté : construire la relation thérapeutique.
Comment quelqu’un qui n’a plus confiance dans les autres peut-il y entrer ? Remettre en scène des tiers soutien est facilitateur. Créer l’alliance prend du temps et peut être le problème central avec ces patients qui vivent la relation à l’autre comme insécure, hostile, menaçante. Entrer dans une technique tant que quelque chose de sécure n’a pas été construit, c’est prendre des risques s’il existe un vécu psychotraumatique (Éric BARDOT). Ce qui valide la solidité de l’alliance est le degré de compréhension partagée, à l’intérieur d’un espace de sécurité, par la proximité et l’attention, par la vue, la voix, le toucher.
Un enfant sait marcher quand il a confiance dans sa capacité à se relever s’il tombe, pour cela il a fallu une main qui le tienne…
Dans le processus psychotraumatique on fait ce travail préalable, main dans la main. Ainsi cette femme se souvient qu’enfant son père lui a mis le nez dans la terre ramenée sous ses chaussures. Elle dit « je suis une merde ».
Je l’externalise en lui proposant d’emblée de la mettre dans sa main en appui dans ma main, en soutien. « Portez votre attention sur le contact entre nos mains et observez la forme que cette merde va prendre ». Quelques séquences de mouvements oculaires après, c’est un gros étron fumant (que j’ai senti prendre forme dans sa main) qu’elle lancera à la figure de son père, entamant ainsi un processus de dégagement de l’emprise violente de son père … La place de la relation est donc centrale dans ces thérapies du trauma. FERENCZI disait déjà : « L »empathie bienveillante et l’engagement du thérapeute occupent une place centrale […] Le contraste avec l’environnement de la situation traumatique […] doit être établi, avant que ne soit mise en place une attitude nouvelle. » Boris CYRULNIK écrit, en référence à la notion de résilience : « Il suffit que quelqu’un ait fait au moins une fois dans sa vie une expérience humaine d’authenticité dans la relation humaine pour permettre que sa vie change ».
Jean-Paul MUGNIER a lui aussi prôné la nécessité de l’engagement du thérapeute pour remettre de l’humanité, en particulier en montrant qu’il est touché par la souffrance et de la victime et de chacun des membres de la famille.
Écouter d’abord le récit du patient en validant à la fois sa détresse et sa position d’acteur pour s’en sortir est fondamental pour le remettre en position sécure.
Par exemple, on peut demander à la première consultation quand une personne a été victime d’abus sexuels « Quelle est la première chose qu’elle a faite et qui aurait dû montrer à l’agresseur qu’elle n’était pas d’accord » avec ce qui se passait. En amplifiant cette action, le thérapeute lui adresse un message de reconnaissance, la remettant d’emblée en position d’acteur, même dans le vécu d’impuissance de l’époque.
L’IDES ainsi que les thérapies narratives insistent beaucoup sur cet aspect en cherchant à mettre en évidence chez la personne tous ces petits signes de révolte face au monde de l’abus. Le thérapeute doit placer le patient, dans un processus de dé-victimisation, en position d’acteur, pour qu’il assume la responsabilité de choisir entre trois possibilités, sans faire ce choix à sa place : ne pas changer, accepter ce qui ne peut pas changer, changer.
Il y a hier (validation du vécu de détresse), aujourd’hui, le temps de la thérapie, orientée vers l’avenir : « Et maintenant, avec ce que l’on a fait de toi, que vas-tu faire de toi, dans ta relation à toi, à l’autre et au monde ? Restes-tu dans le monde où tu continues à souffrir? Ou peux-tu t’ouvrir sur d’autres alternatives? Choisis-tu de continuer? Ou t’aide-t-on à te mettre debout en étant acteur ? » (Éric BARDOT).
FERENCZI pense que tant que le traumatisme n’a pu être revécu avec toute son intensité, le patient reste clivé entre intellect et émotion et, je le cite, « Oscille comme avant, entre le symptôme dans lequel il ressent tout le déplaisir sans rien comprendre, et la reconstruction à l’état de veille au cours de laquelle il comprend tout mais ne ressent rien, ou très peu de choses seulement. »
Il ne s’agit donc pas de raconter le traumatisme, car la parole entretient la situation dans laquelle la personne comprend tout mais ne ressent rien.
Dans les situations où il y a eu dissociation, le thérapeute doit aider la personne à retrouver le chemin de la réunification en réunissant, dans une même expérience, le ressenti au compris.
Une thérapie efficace doit la toucher dans sa globalité, cognitive, émotionnelle, kinesthésique, et viser à réintroduire de la vie. La thérapie des traumas simples est « facile ». On peut travailler très vite seulement sur le symptôme dans une situation aiguë. Il s’agit d’amener le patient à quitter la situation traumatique. Les techniques spécifiques HTSMA sont efficaces, elles agissent vite sur des traumatismes premiers, non fixés (parfois une seule séance).
L’EMDR et les TCC ont d’ailleurs été conseillées par la Haute Autorité de la Santé (rapport INSERM 2004). Dans les traumas complexes, en particulier familiaux, la relation aux autres et au monde n’est pas sécure, les processus d’attachement sont souvent défaillants. C’est pourquoi les thérapies sont plus longues et difficiles, portant avant toute chose sur le rétablissement de la confiance dans la relation humaine.
Face à la double effraction, l’erreur majeure est de mélanger les deux : le traitement de l’acte n’est pas celui de la relation humaine (Éric BARDOT).
L’impact des personnes de l’entourage est parfois plus important que l’événement traumatique lui-même. Par exemple, une femme violée jadis, raconte son histoire pour la première fois à une amie ; or celle-ci lui a dit qu’elle devait aller consulter, lui renvoyant qu’elle devait forcément présenter des troubles.
Si le thérapeute s’engage lui aussi dans la voie du traumatisme, il réifie cette disqualification: le problème, actuel, se situe au niveau de la non reconnaissance de sa résilience par son amie. Il s’agit aussi de garder en mémoire que les symptômes sont des tentatives de solution : attention à ne pas les traiter si le patient n’a rien d’autre à mettre à leur place.
Faire des recadrages dans ce sens lui permet de se sentir compris. De manière paradoxale, chez les anciennes victimes de violence, le pire danger dans l’actuel est souvent la sécurité, car les gens insécures trouvent leur sécurité dans l’insécurité. Le « trop bien », peut réactiver le vécu d’envahissement s’il est vécu passivement.
Par exemple, quand une femme abusée s’installe en couple, la thématique de la confiance se pose : « Si je lâche et que je fais confiance à cet homme, ne va-t-il pas en profiter pour me violenter ? » On se retrouve dans une boucle infernale : les peurs anticipatoires réactivent un vécu traumatique, le passé sert de modèle pour traiter le futur.
Distinguer vécu traumatique et peurs anticipatoires est un point fondamental : le problème se situe-t-il dans le passé ou dans le futur ? Il s’agit de ne pas partir sur l’histoire traumatique alors que très souvent on est dans des peurs anticipatoires (la peur du virtuel). On peut demander : « Quand vous avez ces images perturbantes, est-ce que vous avez le sentiment de repartir en arrière (flash-back, vécu traumatique fonctionnant comme de l’hypnose négative) ou de les projeter dans le futur (image obsédante)? »
Le souvenir fonctionne aussi souvent comme un système d’alarme.
Du tsunami à l’éruption volcanique en passant par la banquise (suite)
Deuxième séance de la patiente « au tsunami » qui a failli mourir d’une tentative d’étranglement de la part de son ex-mari : elle ne supporte plus que sa fille la prenne, l’embrasse un peu vivement.
Elle se sent prête et je la sens prête à travailler ça. Nous démarrons avec comme cible les bras de sa fille qui s’approchent d’elle. Elle se sent repousser sa fille, elle se dit que ça n’est pas bien, et elle ressent des sensations d’étranglement. Je commence les mouvements oculaires, et je me sens tout de suite totalement dissociée de mes émotions, comme si j’étais insensible à ce qu’elle disait et vivait. J’en déduis qu’elle doit vivre une forte expérience de dissociation.
Son attitude le confirme: son corps est immobile, seul son cou bouge, elle tousse à différentes reprises, elle n’a aucun ressenti émotionnel. Puis son corps se refroidit, parallèlement elle se sent s’apaiser. Elle me dit en riant presque : « J’aurais dû mettre des glaçons dans mon cou bien avant pour mes douleurs ». J’ai l’impression d’avoir affaire à un corps sans réaction, dans une mort qui la calme.
La dissociation, cette solution lui permet de se couper de la peur, mais devient un problème car elle se fige: elle ne peut plus agir, elle se refroidit et devient immobile. Je lui dis que je perçois son corps mort. Elle se voit sur la banquise, elle se sent bien. Je lui propose de s’allonger sur la glace. Comme les mouvements alternatifs ne la font pas réagir (elle se sent toujours bien), je passe en style provocatif : « Vous allez finir par crever! ». Pas de réaction.
Soudain, un mouvement de colère me prend et je lui dis : « Et j’imagine vos filles en train de regarder leur mère sans réaction, leur colère à vous voir vous laisser mourir… »
Pas de réaction. Je lui demande ce que penserait ma collègue de nous voir toutes deux incapables de sortir de cette situation, si elle ne penserait pas que j’exagère dans mes propos. Elle me dit « Au contraire ! ». Je monte d’un cran : « J’imagine vos filles désespérées à côté de votre corps après ce suicide déguisé, leur colère à se sentir abandonnées par leur mère qui a choisi le confort dans la mort après que leur père les ait violées, en train de dire à votre cadavre ‘tu ne nous as pas protégées avant, tu nous abandonnes maintenant, tu nous laisses à notre père !’ C’est ça que vous voulez ? »
Non, dit-elle. J’ajoute aussi « Comme vous avez été violée par votre père! ». Cette réalité passée, je ne la connaissais pas vraiment. Elle me dit que j’ai vu juste, qu’elle a été aussi violée par son mari qui avait placé un couteau sous l’oreiller pour qu’elle se laisse faire.
Elle a subi ce viol en étant dissociée, avec une froideur affective qui lui a permis de survivre.
Je me sens alors prise de tristesse, une larme s’écoule de mes yeux, je la laisse bien en évidence alors que ses yeux deviennent humides. Ouf, elle sort de la dissociation. Elle tousse, j’éternue.
A partir de là, nous nous installons dans une remontée de transe, son corps commence à bouger, ses jambes se déplacent. Elle évoque toutes les démarches qu’elle a effectuées, et celles qu’elle va faire pour protéger ses filles (le père est sorti de prison et réclame à les voir). Elle exprime sa colère, ce sont des images de volcan qui me viennent, chez elle aussi. Je lui évoque notre capacité actuellement à nous protéger des éruptions volcaniques et la fertilité des terres après l’éruption.
Du tsunami, nous sommes passées à la banquise puis à l’éruption volcanique. Je la perçois alors bien réassociée et comme une lionne qui veut sauver ses petits. Elle ajoute qu’elle est presque morte étranglée et qu’heureusement elle n’a pas bougé. Je renforce cette vision d’elle en recadrant cette conduite de figement comme une excellente solution : je lui évoque la stratégie de survie utilisée par l’opossum qui fait le mort quand il voit un animal s’approcher, afin qu’il se détourne de lui.
Elle me parle alors des conseils de ma collègue de s’occuper de son corps, en faisant du Qi Gong par exemple, alors que je suis en train de penser qu’on finit juste à temps pour que je me rende précisément à cette activité ! Ce rendez-vous a pris une heure et quart et fut un peu sportif mais finalement très supportable pour nous deux. La fois d’après, elle m’a raconté tout ce qu’elle a fait pour aider ses enfants…
Conclusion
Hypnose éricksonienne et HTSMA réintroduisent une mise en mouvement particulièrement utile dans les processus de figement, comme chez les personnes qui ont un vécu de psychotraumatisme. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de raconter le trauma en détail, il suffit qu’il soit « digéré ». Ces thérapies aident aussi à dissocier ce qui mérite de l’être et à réassocier ce qui a été dissocié. C’est pourquoi elles sont particulièrement adaptées pour le traitement des psychotraumas. Mais elles ne se limitent pas à cela, loin de là.
Références bibliographiques
Livres généraux ou divers
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Sur les pratiques de Milton ERICKSON
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DESCLEE DE BROUWER ROSEN Sydney « Ma voix t’accompagnera. Milton H. ERICKSON raconte », 1986, HG E
Sur l’hypnose
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O’HANLON William H., MARTIN Michael « L’hypnose orientée vers la solution », 1995, 2ème ed., SATAS, Bruxelles
SALEM Gérard, BONVIN Éric « Soigner par l’hypnose », 4ème ed., MASSON, 2007
Sur l’EMDR
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Communication dans le cadre de la Journée d’Étude « Hypnose, EMDR, HTSMA, Thérapies Brèves: des cliniques et des outils au service des thérapeutes et des patients », Évreux, Octobre 2012
PICAMOLES Régine « Les pérégrinations d’une psychologue au pays HTSMA », 2013, site de l’association HTSMA Communication dans le cadre de la Journée d’Étude « L’HTSMA : quel lien avec votre pratique clinique ? », Saint Sébastien sur Loire (44), Octobre 2013
SALMONA Muriel « Violences sexuelles et situations paradoxales de dépendance à l’agresseur liées à la mémoire traumatique, la dissociation, et aux conduites dissociantes » et « La mémoire traumatique », 2008, Source Internet
Bonjour,
Je suis psychologue, hypnothérapeute et praticienne EMDR; J ‘articule aussi dans ma clinique du trauma ces deux merveilleuses ressources. Je recherche une formation sérieuse HTSMA, pourriez vous me conseiller ? Merci par avance
Bonjour
Allez voir sur le site de l’institut Miméthys (le seul à proposer des formations en HTSMA) les lieux de formation. Cela vous enrichira tant sur le plan technique que théorico-clinique, ainsi que votre pratique de l’EMDR et de l’hypnose. le Dr Eric Bardot fait partie de ceux qui oeuvrent dans le sillage de Milton Erickson
D’ailleurs lorsque Régine évoque Miméthys dans son article, c’est un lien cliquable vers leur site.
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