Ça me rappelle une histoire. Elle se passe il y a longtemps, en Mésopotamie. Dans cette région du monde et à cette époque, les royaumes étaient organisés en villes. Elles étaient construites généralement autour d’un point d’eau, et la vie s’organisait autour du Roi, de son château, et du vieux magicien qui conseillait le Roi et s’occupait de la gestion de l’intendance de la ville. C’était le cas de la ville dont je souhaitais vous parler. Les terres alentours étaient relativement fertiles, ensemencées qu’elles étaient par la source du château.
Les récoltes étaient prospères, et les gens de cette ville étaient heureux. Les enfants étaient élevés dans l’amour, et ne manquaient de rien.
Un jour survint un événement imprévu: quelques adultes de la ville devinrent fous subitement, sans que l’on sache pourquoi, et, laissant femmes, enfants et parents derrière eux, ils partirent s’installer un peu plus loin, créant leur propre village.
Au début, leur présence ne gênait pas grand monde.. Ils ne sortaient que peu, la nuit venue, mais on remarquait à peine leur présence.
Ils utilisaient les eaux de la source pour boire, et pillaient régulièrement les réserves de nourriture, mais dans des quantités tellement limitées que le Magicien toléra leur présence, et ordonna à la garde royale de laisser ces pauvres hères tranquilles, touché qu’il était par la détresse de ces anciens sujets.
Il n’en parla même pas au Roi, pensant que le temps faisant son oeuvre, ils reviendraient seuls à la raison..
Leur village était un camp sale, et les déjections et restes de nourriture voguaient hors de leur camp au fil de l’eau. Et leur folie les poussaient à se connaître les uns les autres. Et ils engendrèrent des enfants, qui s’avérèrent aussi fous que leurs parents; et ils en firent de plus en plus, et petit à petit agrandirent leur camp.
Le temps, loin d’arranger les choses, révéla l’agressivité des enfants ainsi nés, et quand ils atteignirent l’adolescence, il devint évident que le problème devenait ingérable.
Le magicien avait bien remarqué que le camp s’agrandissait, détournait la source à son profit, mais il continuait d’espérer que ces sujets puissent retrouver la voie de la raison.
Le jour vint où le camp devint tellement important, et les échauffourées, les rixes, les pillages, les effluents de leurs déjections tellement nauséabonds que le Roi les remarqua enfin.
« Quelle est cette chose? » Demanda t’il au magicien en parlant du camp malodorant et repoussant qui croissait à côté de sa ville bien aimée.
Le magicien expliqua le problème au Roi, et tous deux décidèrent qu’ils ne pouvaient plus attendre, et demandèrent l’aide au grand magicien de la ville d’Asquid.
Ils l’invitèrent donc à venir les rencontrer afin de trouver solution à cette folie.
Tandis que le messager chevauchait, pour une raison inconnue, d’un seul coup, la multitude du camp voisin attaqua la ville, poussés qu’ils étaient par les instincts les plus primaires, l’avidité de nourriture et d’eau.
Après des affrontements sanglants et traumatisants pour les habitants attaqués par d’anciens être aimés, ils réussirent à les repousser hors de la ville, et fermèrent les portes, tandis que les fous commencèrent le siège.
Le messager revint à ce moment accompagné par le Grand Magicien, et ils empruntèrent un tunnel secret pour rejoindre le cœur du château.
Là, ils menèrent conciliabule:
« Mon Roi, je vois d’où vient votre problème, et je peux vous proposer une solution.. »
« Quelle est elle ? Grand Magicien.. Je n’ai plus guère le choix! »
« Mon Roi, j’ai amené avec moi un poison concocté par mon alchimiste.. Ces effets sont cumulatifs, et à haute dose mortels! »
Il dit à son confrère d’installer un système hydraulique ingénieux, et de déverser le poison dans l’eau de la source, ce de manière régulière et continue..
Malheureusement, il n’était pas possible d’épargner l’eau de boisson des gens de la ville, et il serait donc important de demander à chaque citoyen de s’abstenir de s’alimenter et de boire pendant qu’ils se livreraient à cette intervention. Ils devraient vivre sur leurs réserves..
Ce qu’ils firent. Un système de tuyau fut construit, et, pendant les heures suivantes, ils déversèrent le poison dans la source.
Tant que le poison fut installé dans le dispositif, les gens de la ville ne s’alimentèrent plus, buvant le peu d’eau qu’ils avaient en réserve mais pas l’eau de la source.. Ils avaient faim, cessèrent leurs activités coutumières pour se reposer, méditer, le temps que le temps passe.. Et fasse son oeuvre.
Les fous du camp eux se baffraient, se vautraient, goulus, et la nuit du troisième jour ils rendirent l’âme et finirent gisants sur le sol. La garde royale sortit alors, et, pleine de miséricorde, débarrassa le sol de ces corps empoisonnés..
Lorsque le poison fut tari, quelques heures après que le poison fût retiré du dispositif, les habitants purent reprendre leurs activités, et leur alimentation normale, le poison ayant été lavé de la source.
Le magicien garda cependant avec lui la recette du poison ainsi que les plans du dispositif, afin de pouvoir parer à toutes les éventualités, et lui et le Roi remercièrent chaudement le Grand Magicien.
©Pierre Le Belleguic