Métaphore Cancer Montgolfière solitaire dans le désert

Cancer et Hypnose: Regards croisés (2/3) 2


Cet article est la partie 2 de 3 dans la série Série Cancer et Hypnose : regards croisés

Regards croisés sur l’accompagnement en hypnose du cancer, Suite de la Partie 1:

Pierre: Le temps passe et s’écoule.. Les rendez-vous se succèdent deux fois par semaine. Le principe du gagnant/gagnant fait recette: je suis à la fois estomaqué du succès rencontré par ma démarche, et du nombre de personnes en souffrance dans mon hôpital. Des collègues de travail, beaucoup des services administratifs, dont la souffrance perlée appelle un besoin de panser ces douleurs, souvent psychiques, les prétextes somatiques cachant une réalité bien plus profonde et incandescente que celle affichée d’emblée. J’enchaîne les séances, j’accumule de l’expérience, gère quelques abréactions, accompagnées main dans la main, jusqu’à traverser ce champ de douleur, et qui aboutit à l’apaisement, au repos, aux larmes qui finissent par sécher après avoir lavé ce qui faisait mal.. Chaque nouvelle personne rencontrée, chaque problématique soulevée donne lieu à un intense travail de recherche et de créativité.

Elles sont alimentées par mes lectures, mes discussions avec Éliane, ma superviseuse et amie. Dans l’intervalle je m’abonne à la revue « Hypnose et thérapies brèves« , dont les articles m’inspirent. Ce qui caractérise mes rencontres avec toutes ces personnes qui sont pour la plupart des collègues de travail, c’est que ce sont des rencontres limitées dans le temps. Une, deux, trois ou quatre séances maximum et nos rencontres s’arrêtent, la problématique se trouvant dépassée d’une manière ou d’une autre. Et le changement vient discrètement, par petite touche. Souvent on me répond à la question :

« Bonjour! Qu’est-ce qui a changé depuis notre dernière rencontre? »

« Bah! Rien! »..

Et lorsque nous commençons l’échange, la personne prend conscience des changements au fur et à mesure qu’elle se raconte..

« Eh bien! Pour des choses qui n’ont pas changé, ça en fait des changements!! »

Seul un collègue particulier échappe à cette règle empirique.. Et c’est amusant.. La demande initiale étant peu précise, je le revois régulièrement, nous échangeons sur la vie, sa manière de percevoir le monde, je l’accompagne en transe… et le laisse travailler ce qu’il souhaite.. Les seules suggestions que je lui présente, c’est qu’une autre part de lui puisse mettre en place les changements dont il a besoin.. De temps en temps nous reparlons de ses objectifs, ils se transforment avec le temps, au fil de nos différents entretiens.. Sa vie aussi. Beaucoup d’épreuves qui viennent chambouler ses priorités.. Et quelle évolution! Son positionnement évolue à vitesse grand V, il passe de la position de subir ces événements en les prenant de plein fouet à un rôle d’acteur! Il accepte de nager avec le courant.. Et ça se fait tout seul, sans même qu’il le sache!..

Mais l’accompagnement de Claude, et je le sais depuis le début, c’est une course de fond, un marathon. De chaque nouvelle rencontre émerge une nouvelle demande, exprimée ou pas. C’est une relation complètement égalitaire, où chaque nouvel aspect de l’accompagnement dans ces épreuves m’oblige à réfléchir à la stratégie que je vais employer pour l’aider à se connecter à ses propres ressources, et son potentiel de guérison. En la matière, les « Collected papers » d’Erickson sont une vraie source d’inspiration. Quelle créativité! Le plan de tomate, la stratégie de « L’Homme de Février« , son article sur l’utilisation en hypnothérapie de l’expérience vécue des phénomènes hypnotiques..

Et lorsque je recontacte Claude pour prendre de ses nouvelles, nous convenons de nous revoir. Je l’encourage à faire part à l’équipe qui gravite autour d’elle de la démarche d’accompagnement effectuée avec moi. Je sais que ces techniques sont de mieux en mieux acceptées à l’hôpital, et je me dis que si Claude en tire un bénéfice, en informer ses soignants peut participer à leur ouvrir l’esprit, ce qui peut être profitable à d’autres personnes. Éliane souhaite m’accompagner pour partager cette expérience. Claude acquiesce et nous convenons de nous retrouver chez elle.

Claude: Les chimios s’enchaînent sur 3 semaines : 3 jours en hôpital de semaine plus lourds chimiquement et paradoxalement plus légers en émotion. Je peux rester tranquille. Mes proches, famille amis, sont des pros du SMS. Je reçois chacun d’eux comme un cadeau sans me sentir obligée de répondre. Nous sommes connectés au-delà de la technologie. Avec Christophe, synchrones, chaque matin nous nous réveillons d’un message. Il est si respectueux. Parfois, il me demande quand il veut venir déjeuner avec moi. Ce moment partagé le midi est rapide. L’hôpital l’inquiète. Aussi, je suis contente qu’il rencontre peu de soignants et encore moins les médecins. Dans le silence, je me laisse aller au rythme du service. Lundi après-midi en ambulatoire, c’est la dernière dose du protocole. Le temps passé est court mais les conditions sont éprouvantes. Peu d’intimité, nous sommes parfois 4 femmes dans une chambre individuelle réaménagée avec des fauteuils. Entre celles qui veulent parler, celles qui préfèrent se taire, celles en début, milieu ou fin de traitement, de tout âge. Comment se situer, se comporter ?

Weekend d’Halloween, pas de promenade déguisée cette année, une belle aplasie. Direction les urgences, comme toujours la prise en charge est excellente, l’interne ne comprend pas, surprise de me trouver debout. Je sais que je peux venir c’est tout. Mon corps est ailleurs et dans ma tête c’est une promenade continuelle. Je reste concentrée vers l’objectif. Si le traitement a cet effet sur les cellules saines alors….les autres doivent souffrir aussi!

Sur les conseils de Pierre, je fais part à l’équipe de son accompagnement en hypnose. Le retour est mitigé : « Oui, oui c’est bien. Si ça vous détend, allez-y ! ». A mon avis, il y a bien plus que de la détente, mais du coup, je n’ose pas leur préciser. Il est difficile de généraliser d’une expérience surtout la sienne. Ils doivent croire que je vais rencontrer un rebouteux, je sais parfaitement que cette technique ne me guérira pas et le leur dis.. mais…… Je vais peut être trop loin dans mes attentes de cette technique? Le retour est plus positif chez les jeunes infirmiers, intrigués. Ils ont vu des émissions télévisées. Heureusement, la psychologue du service offre une écoute plus attentive et confirme que des études récentes en neurosciences montrent des modifications sur le cerveau avec l’hypnose, la méditation.

Cette séance de novembre, c’est Pierre qui la propose. Le voilà une fin d’après midi, à la maison, accompagné d’une amie-collègue pratiquant aussi ce type de thérapie. Il avance, il cherche, explore. Tant de progrès, sa voix est plus assurée, très fluide dans les mots. Avec l’habitude, je le suis facilement. Mais je m’interroge aussi de plus en plus sur le fonctionnement, les principes de l’outil. C’est un peu toujours la même chose et chaque fois différent. Nous échangeons sur le processus, j’ai perçu la structure mais le contenu reste obscur. Que se passe t’il pour l’autre; celui qui parle au cours d’une séance?  Éliane m’accorde cette image du premier de cordée. C’est donc un guidant et je me laisse guider. Nous partons (je les emporte tous les deux) en montgolfière, vers les nuages. Le soleil nous accompagne de cette lumière douce. Les images ne sont pas scénarisées comme les fois précédentes. Plutôt des impressions vagues, des sensations étranges et agréables comme si… comme si tout était facile, léger. Comment comprendre ce regain d’énergie à chaque fois? Est-ce que c’est pareil pour tout le monde? Est ce que Éliane ressent la même chose ? Elle dit en étirant les bras : « Ah j’étais partie loin, c’était si solaire ! ».
Mon mari arrive avec les enfants. En bon septique, avec humour : « la sophrologie c’est pas pour moi dit-il ça m’énerve ». Typiquement lui, cette entrée en matière, pour confronter son esprit cartésien au mécanisme hypnotique. Je le laisse échanger avec Pierre et Éliane sans crainte et monte retrouver les enfants. Il y avait longtemps que je n’avais autant eu envie de les voir, les sentir, les entendre.

Pierre: J’ai bien senti qu’avec Claude, il était plus confortable pour elle que je lui propose de nous rencontrer. C’est un tel soulagement pour elle à chaque rencontre, à chaque fois que je lui propose de nous voir. Mais c’est tellement difficile de faire une demande, de solliciter les personnes ressources. Elle ne veut pas être à la charge de qui que ce soit, ne veut pas déranger. Après tout, ce n’est pas vraiment un problème pour moi, et je peux comprendre. Une part de moi a la capacité ou l’illusion de pouvoir se mettre à sa place, à se fondre dans son ressenti, ses émotions. La comprendre, viscéralement. C’est tellement important d’être accompagné, par une personne neutre et bienveillante (est-ce vraiment neutre?), ce qui fait presque penser à une oxymore. Mais du coup peuvent être abordés tous les sujets, toutes les problématiques, même ceux qui sont les plus angoissantes. Avoir un espace d’échange ou déposer ses angoisses, les travailler, les externaliser, voir les métaboliser..

Lorsque je viens chez Claude cette fois-ci Éliane a tenu à m’accompagner, et j’ai tenu à ce qu’elle m’accompagne. Peut-être une manière pour moi de faire valider la direction que notre tandem avait pris, besoin d’un regard extérieur, d’un retour éclairé sur ma pratique. C’est un peu intimidant pour moi, mais je passe vite à autre chose lorsque nous arrivons chez Claude.

Beaucoup d’interrogations ce jour, d’incertitudes quant à l’avenir, avec, en filigrane, la peur de mourir.. Comment temporiser cette angoisse de l’avenir ici et maintenant?

Me vient à l’esprit l’image d’une montgolfière.. Je laisse la séance me mener. Je pars moi même dans l’imagerie proposée par mon inconscient, le départ, l’air chaud qui gonfle le ballon. L’atmosphère humide et pesante. Les sacs que l’on largue pour lâcher du lest. L’apparition des nuages sur le trajet. On largue du lest et on se laisse flotter, dériver, pousser par le vent jusqu’à s’élever au-dessus du plafond nuageux. Et l’orage fait rage au-dessous, tandis qu’ici tout est calme. L’air est pur et frais. Le son du vent d’altitude bourdonne à nos oreilles. La fraîcheur saisit les narines, l’absence d’odeur.. Et c’est intéressant de voir ce qui change dans les pensées à cette altitude, dans le corps, dans les émotions ressenties, et comment les gestes pour ajouter de l’air chaud, pour larguer du lest sont devenus plus précis, chirurgicaux, enlevés et enthousiastes. Ou peut être tout autrement?..

Et lorsque l’orage passe, on peut guider le ballon vers la terre ferme, ouvrir les valves et laisser l’air chaud s’échapper pour rejoindre le ciel..

Claude: En validant mon ressenti, Éliane me conforte sans le savoir à poursuivre dans cette voie. Pierre me transfère un second MP3. Il s’intègre dans mon rituel, chaque matin. Ça va aller et d’ailleurs, l’examen de référence, le pet-scan, montre une diminution des tumeurs. Les médecins m’annoncent la poursuite du chemin thérapeutique décidé avec une greffe en janvier. Tout va bien!

C’est un despote le cancer. Tyrannique, il écrase nos corps, envahit notre quotidien, impose son rythme, monopolise les conversations, les pensées. Alors, en guise de résistance, je reste debout ou assise sur le lit en tenue de ville. Pour maintenir le lien familial, nous développons des stratégies. Les jours d’hospitalisation, mes fils téléphonent pour prévenir qu’ils sont rentrés de l’école, du collège, demander l’autorisation d’utiliser la console, envoyer une photo par SMS pour aider à résoudre un exercice et aussi tromper leur solitude.. A la maison, je ne fais pas grand-chose, mais le temps ne me semble pas long. Tout est calme dans notre cocon.
L’hypnose n’est donc pas envisagée comme un soin. Sans doute, n’ont-ils pas le temps de se pencher sur ce détail. Il y a tant de dossiers à suivre. Comment font les soignants, les médecins pour nous accorder, avec cette constance, les soins, les regards alors que toutes les chambres sont occupées : Derrière chaque porte identique, des personnalités si différentes. D’un seul coup d’œil, ils voient les souffrances, d’une parole, ils confirment notre état. Il y a bien plus que de la science, plus que des protocoles dans un hôpital, j’ai parfois l’impression que juste en posant leur main sur notre bras, ils prennent un peu de nos souffrances.

Il m’est important d’aller faire mes radios seule, de prendre rendez-vous pour les scanners seule, de marcher jusqu’au cabinet infirmier plutôt que de l’attendre à la maison. Je fais ma part. C’est une manière d’être impliquée dans ce long chemin de soins. Je m’approprie les MP3 qui apportent beaucoup de confort. Les effets secondaires paraissent plus ténus après une écoute. En dehors de toute raison, j’espère un peu de magie… si mon esprit pouvait agir sur le corps. Peut être ! Peu importe finalement ce qui compte c’est de faire.
Les résultats du pet scan se confirment par un scanner, une diminution de la masse (Je perçois aussi l’évolution : respiration facile, disparition de la gêne cardiaque). L’avancée dans le protocole aussi, 2 cures d’une nouvelle ligne de thérapie avant de partir pour la greffe tout début janvier. Nous progressons. Les médecins sont confiants. Ils m’annoncent une sortie de traitement pour février : « une pause et vous pourriez reprendre en septembre Mme THOMAS à mi temps ». Cette perspective de l’année 2016 en bonne santé me réjouit..

Deuxième cure de méthotrexate, cette femme dans la chambre 301, je la connais même avec nos portes fermées. Sans l’avoir vue, sans rien savoir d’elle. Elle ne se lève plus depuis le mois dernier où nous étions déjà voisines. Les mots chuchotés, les allers-venues silencieuses laissent tout entendre. Les mouvements se font de velours comme pour éviter le moindre tremblement de porte ou de sol. La nuit, que j’aime tant, me permet d’être avec elle. La personne qui dort à ses côtés se retourne dans le lit de camp. Est-ce qu’elle l’entend elle aussi?

Pierre: Comme toujours le temps passe, et je constate que les dernières nouvelles que j’ai de Claude commencent à dater. C’est devenu pour moi le signal qu’il est temps que je me manifeste. J’apprends que Claude est hospitalisée au CH d’Evreux. Je lui propose de passer lui rendre visite.

Claude: Pierre m’envoie un SMS en milieu de semaine : « je suis à l’hôpital, je peux passer? ». J’autorise ou pas les visites, évitant de recevoir les personnes un peu fragiles sauf si elles sont accompagnées. Pas de larme, dans ma chambre! OK pour lui, il gère.
C’est une visite presque amicale, nous discutons simplement de tout de rien. Son regard soignant se pose à peine sur le pied de perfusion et la pompe. Parfait! Il prend des nouvelles qui sont bonnes. L’humeur est joyeuse. Comme chaque fois, sa capacité à entretenir une conversation m’impressionne. Il réussit à obtenir des informations sans que nous ayons à répondre à des questions. Il me propose une séance : « On y va Claude? » avec un sourire. Qu’a-t-il saisi, je n’ai pas exprimé de besoin? Après tout c’est spontané! Puis, c’est une bonne idée, il s’entraîne!
L’immédiateté de la transe me surprend. Au fil des séances, j’ai l’impression de m’y installer plus vite plus facilement… sans même l’écouter. Comme un interrupteur qui bascule ! Instantanément, je n’ai plus conscience du temps, ne me sens plus dans la chambre. C’est vraiment saisissant! Juste une seconde d’hésitation, et je m’élance décidée à vivre l’expérience pleinement.
J’arrive à tout voir, tout entendre, tout penser avec une facilité déconcertante ! Les sens sont décuplés : l’herbe sous mes pieds, ma main plongée dans l’eau courante, les arbres filtrent la lumière du soleil, une légère brise passe entre les feuilles, quelques voix à peine me parviennent, des rires. C’est juste ce que je suis là profiter de l’instant dans un temps sans limite.

Alors même qu’il me ramène vers la conscience éveillée, que j’ouvre les yeux… «Comment allez vous?…. vous étiez loin! » me dit-il? … « Comment peut-il savoir?  …je n’ai aucun souvenir de ce qu’il a dit …..Qu’est ce qu’il a bien pu me raconter?….l’hypnose est un rêve éveillé » …. Agréablement, l’effet se prolonge….comme notre discussion ….. alors que j’y suis toujours …..il part, et j’y suis toujours un peu sans douleur ni angoisse. Aucune nausée, ce soir je peux manger.

Les fêtes approchent, Christophe n’a pas trop envie d’y participer. Cette histoire de greffe l’inquiète beaucoup. La logistique sera importante, c’est vrai, mais tout est prévu. Il aura du relais. Les valises sont prêtes, l’admission est pour le mardi de la rentrée. Avant ça un dernier scanner, je suis confiante, trop… C’est un choc que d’entendre « apparition de nouveaux ganglions ». D’un coup, je ne suis plus là …. Rentrer à la maison, la famille arrive dans 2 jours. Il faut les accueillir et il y a des tonnes de choses à préparer. Téléphoner à l’hématologue pour l’informer, lui scanner le compte rendu. La surprise vaut pour elle aussi.  Elle me recontacte dans l’heure : « On va voir, je suis à Becquerel demain.»  – «Oui oui, c’est bien. Vous faites comme il faut, j’ai confiance en vous. ».  Les fêtes se passent. Tout est parfait. A chacun, je m’arrange pour glisser quelques messages : « Ils peuvent annuler la greffe la veille pour le lendemain pour des raisons que nous ne maîtrisons pas. Ça va bien se passer. »

Bien sûr, le lundi veille de mon admission,  tout est annulé.  En une seconde, la réalité me rattrape de plein fouet.  Appeler Christophe pour lui expliquer, …délicatement, le report. Calmement, j’enchaîne avec maman, mes sœurs….ne pas les inquiéter c’est fait ! Sur le parking, dans cette voiture, immobile, c’est le chaos, je ne suis plus rien. Les oreilles bourdonnantes, le champ visuel réduit, la route n’est qu’un long ruban gris. C’est une autre qui conduit. Robotisée, je vais chercher mes enfants à l’école, prépare le goûter. Il est facile de leur dire que c’est repoussé par manque de place, qu’en attendant je vais continuer les chimios. Pour tous il y a mon corps qui bouge, ma voix qui parle, l’enveloppe est vide.

Deux jours plus tard, direction l’hôpital. L’hématologue m’a téléphoné depuis Becquerel : « Ça va être sévère, on attaque fort et tout de suite ». Le protocole s’appelle R-ICE.  Avec l’équipe, nous blaguons sur le côté décoiffant, glaçant que le médecin m’a promis. le mensonge est complet. En moi un infini s’installe comme dans une grande glissade. Des effets secondaires, aucun signe parce que je ne me sens plus moi-même peut être ?  Les jours s’enchaînent dans la protection hospitalière qui me contient. Si une nuit,  la prise lâche un peu, l’équipe m’assure. La sortie mi janvier me laisse anesthésiée.

Avec ses bons vœux, comme à chaque fois maintenant Pierre se rend disponible. Conséquence de son engagement dans ce projet, l’hôpital a mis à sa disposition une salle où il peut recevoir plus facilement. Il est doué, déterminé mais doute beaucoup, cet encouragement institutionnel est une marque de confiance justifiée. Il m’accueille, heureux d’inaugurer avec Éliane cette salle. Il ne faut pas ternir sa joie , ni l’instant! Je prends le parti de lisser la réalité, d’omettre et juste profiter du confort de l’hypnose. Mais c’est sans compter sur leurs compétences, et à sa première question, mes défenses s’effondrent. Ils accueillent mon silence, cette souffrance,… l’indicible. D’eux, je ne vois que leur regard, autour c’est le néant.  Leurs yeux s’effacent, dès que je ferme les miens. Pierre s’engage, sûr de lui, après avoir inclus Éliane dans la triade. Assez directif pour une fois mais peu importe, c’est comme si j’étais déjà ailleurs. Par ses mots, je me conduis dans un espace de paradoxe. Pétrifiée dans une pièce close sans limite, la tétanie m’emprisonne. …..Il poursuit suggérant de m’extraire de moi-même, de m’observer à distance, me laisse le temps…. »Et peut être de nouveau vous détacher une seconde fois …. » Je ne sais pas si ce sont ses mots mais ils sont ceux que j’entends, que je comprends. Sa voix répète toutes ses consignes qui me parviennent morcelées…

Les images mentales se construisent : la première, juste ma silhouette, la seconde, une duplication, distanciée mais tellement démunie. Incapable d’aider la première malgré les encouragements les sollicitations, elle ne peut que constater son impuissance. La 3eme est encore plus diffuse physiquement mais mobile. Comme si cette transparence lui permettait de se laisser traverser par les émotions. Cette 3eme moi reçoit les indications de Pierre : faire écrire la phrase, mot à mot, elle est si longue …. »chaque jour, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. »

Pierre:  C’est à cette époque qu’aboutit ma demande formulée à l’institution par la voie hiérarchique: celle de la mise à disposition d’une salle pour m’entraîner à l’hypnose, me permettant de me libérer des contraintes liées à un exercice à mon domicile, ou au domicile des personnes accompagnées. Cette demande, je l’avais formulée sous la forme d’un développement de mon projet initial d’hypnose thérapeutique. Présentée à ma cadre de proximité, celle-ci l’accueille avec une extrême bienveillance, et m’accompagne pour le porter d’étage en étage hiérarchique, cadre supérieur de santé, directeur des soins, jusqu’au directeur.. Tous accueillent la demande avec une extrême bienveillance. Ce lieu est donc nommé « Salle d’entraînement à l’hypnose », et meublé en deux coups de cuillères à pot avec des meubles de récupération, des sièges confortables, un fauteuil de relaxation de deuxième vie.. C’est un lieu cosy, que nous complétons d’une bouilloire, un collègue faisant don de tasses et de cuillères, pour pouvoir recevoir dignement devant une tisane ou une infusion.. Pour cette étrenne avec Claude, Éliane est venue m’assister. C’est une période particulièrement difficile.. Je commence à avoir suffisamment d’expérience pour me projeter dans des projets plus ambitieux.. Et je dois tempérer mes ardeurs pour cadrer avec le rythme, lancinant, institutionnel. Tellement de possibles s’offrent à moi que je suis un peu étourdi. L’idée de repartir en formation dans quelques mois pour le deuxième module me conforte dans la patience que j’observe. Mais par ailleurs, une autre partie de moi doute parfois de mes capacités, de la qualité de mon accompagnement, de ma légitimité et de mon engagement. L’absence de retour d’expérience organisé sur mes interventions me laisse sur ma faim. C’est à cette époque que je décide de recontacter toutes les personnes que j’ai accompagnées pour faire une évaluation à distance de notre rencontre.

Je sollicite les gens pour les revoir. Tous accueillent la démarche avec empressement, ils comprennent l’importance que cela a pour moi, dans mon processus de formation.. Je leur propose à tous de les accueillir dans ce nouveau lieu. Je construis un guide d’entretien qui me permettra de sonder ma pratique, et trouver de nouveaux axes d’amélioration.
C’est lors de ces entretiens qu’ils me firent le retour de l’importance personnelle du travail en dehors des séances, notamment par le biais d’enregistrements MP3, ou de moments d’auto-hypnose. L’importance d’insister sur la réalisation des tâches thérapeutiques prescrites, l’importance de veiller au confort de la personne en transe en lui suggérant de réajuster sa position si le besoin s’en fait sentir.. Mais tous ces retours furent aussi l’occasion de me conforter dans la voie qui s’ouvre devant moi, leur enthousiasme communicatif ne me laissant aucun doute sur l’intérêt de la démarche, sur la puissance de l’outil..

C’est aussi à cette époque que j’installe sur le cloud un dossier pour chaque personne, dossier qui nous permet d’échanger comme on le ferait dans un livre, page après page, parfois presque sous forme de questions/réponses. Je créé aussi un fichier publique que je nomme « Livre d’Or », où chaque personne peut me laisser un mot destiné lui, par contre, à être lu.. C’est ce même livre d’Or qui est maintenant transféré sur ce site. https://www.hypnosos.fr/livre-dor

C’est donc dans cette pièce, en compagnie de mon amie psychologue Éliane que je reçois Claude. J’ai été informé d’un contre-temps dans son protocole de soins mais guère plus d’éléments. Je suis joyeux et plein d’entrain, excité à l’idée d’étrenner cette pièce. Mais lorsque je la vois arriver je décèle une ombre dans son regard. Après les palabres d’introduction d’usage, je lance une ligne à la pêche d’informations sur son vécu actuel, histoire de savoir sur quoi elle a besoin de travailler. Elle craque.. Elle nous livre l’étendue insondable de son angoisse, sa peur du lendemain. Les idées noires qui parfois la tenaillent. En hypnose conversationnelle, je l’amène à projeter tout cela sur un écran.. Mais elle est incapable de dire ce qu’elle voit.. C’est trop difficile. Elle ne veut pas.. Peut-être trop intime.. Ou autre chose! Nous tentons de la rassurer sur la force de nos armures, déployons tout notre savoir faire pour l’amener à déposer ce poids, mais rien n’y fait. Elle souhaite se mettre entre parenthèse le temps d’une séance d’hypnose, pouvoir s’évader.. Comme le roseau d’un coup, je plie et change de cap, je me dis que pour mieux l’accompagner il faut que j’accepte de ne pas savoir, lui faire confiance, manifester cette confiance en sa propre résilience, qui au bout du compte sera la ressource dont elle aura besoin. Je lâche donc prise et lui propose donc un exercice. Je lui suggère que tout cela a encore besoin de  décanter. Je pense travailler un niveau au-dessus des symptômes qu’elle présente, pour finalement favoriser le travail de cette puissante résilience qu’elle a en elle. Ceci va à l’envers de la démarche psychologique habituelle qui est de connaître le problème pour le traiter. Je pars du postulat que son inconscient connaît le problème, une activation générale de ses ressources devrait donc l’aider à passer ce cap, et me permettre de nouer l’alliance avec son inconscient et le laisser trouver lui même sa solution..

Au passage j’accepte et je valide une expression qu’elle a souvent « Ça va aller! Ça va le faire! ».. Je l’amplifie, et la laisse en suspend pour m’en resservir à la fin de notre rencontre. Ce que fait Claude est typiquement issu de la méthode Coué, dont les résultats peuvent être extrêmement intéressants dans ce genre de situation. Et comme je peux constater que naturellement et intuitivement, elle s’en sert, je lui prescris donc son utilisation, en entretien d’abord, puis en transe hypnotique, et enfin lors de l’entretien de ratification: « Chaque jour et en tout point de vue, je vais de mieux en mieux. » Ce qui est une des phrases utilisées par Emile Coué lui-même..

Claude :  Il laisse le temps encore, de me retrouver, plus apaisée, éloignée des inquiétudes, des ressentis négatifs de l’échec avant de réunifier. Mon esprit a compris le processus, alors si une partie de moi suit le chemin de retour indiqué par Pierre, une autre partie maintient ces trois « Moi » laissant la première en retrait et la troisième prendre le relais. C’est elle qui remercie, dit au revoir, répond aux codes sociaux. Elle qui à chaque moment, chaque minute engagera les deux autres, consciencieusement, à produire la phrase donnée. Ma main guidée par les deux autres regagne peu à peu en présence, en consistance. Comme une enfant je recopie sans comprendre le sens avant qu’il ne se fasse plus présent. Peu a peu la troisième et la seconde réunies, se mobilisent pour moi.

Les 2 nouvelles cures R-ICE s’enchaînent. Tout se passe bien. L’équipe réenvisage la greffe pour début mars, après un scanner de contrôle.

(A suivre..)

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A propos de Pierre Le Belleguic

Infirmier en psychiatrie depuis 1999, en formé à l'hypnose ericksonienne depuis 2015. Passionné par la relation soignant/soigné et toutes les techniques relationnelles.

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2 commentaires sur “Cancer et Hypnose: Regards croisés (2/3)

  • Puffet Bernard

    Un tout grand merci, Pierre, pour ce magnifique partage d’expérience.
    Je travaille comme infirmier en soins palliatifs depuis 20 ans et comme praticien en hypnose dans ce cadre depuis 2 ans.
    Je me retrouve beaucoup dans ton témoignage, à travers doutes et progrès. Il en ressort une passion encore plus grande pour ce métier et ce nouvel outil qui nous permet de rencontrer et d’accompagner l’autre toujours mieux.

  • Masinski Pauline

    Lire cet article a suscité chez moi beaucoup d’émotions, Claude est une amie et je n’avais qu’entrevu ce qu’a été pour elle cette épreuve mais aussi l’ampleur et la puissance de l’aide que l’hypnose a pu lui apporter. Je me forme actuellement en hypnose et je suis admirative de l’alliance que vous avez su créer et de la créativité dont vous avez fait preuve pour vous adapter à chaque étape, à chaque moment et à l’état d’esprit de Claude. Elle m’incite à oser en hypnose même si je me sens encore peu armée mais elle a raison, vous avez osé , même thérapeute débutant et votre soutien a été tellement précieux. Merci pour ce témoignage remarquable.